D’Albert - Tiefland - Flor/Sutcliffe - Toulouse - 09-10/2017

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D’Albert - Tiefland - Flor/Sutcliffe - Toulouse - 09-10/2017

Message par jeantoulouse » 27 sept. 2017, 16:56

Claus Peter Flor direction musicale
Walter Sutcliffe mise en scène
Kaspar Glarner décors et costumes
Bernd Purkrabek lumières

Nikolai Schukoff Pedro
Meagan Miller Marta
Markus Brück Sebastiano
Scott Wilde Tommaso
Orhan Yildiz Moruccio
Anna Schoeck Nuri
Paul Kaufmann Nando
Jolana Slavikova Pepa
Sofia Pavone Antonia
Anna Destraël Rosalia

Orchestre national du Capitole

Chœur du Capitole
Alfonso Caiani Direction

Gros succès à la générale du Tiefland d’Eugène d’Albert. Le public chaleureux a découvert, souvent surpris agréablement, un opéra bien construit, à la musique prenante, puissante même, dans une mise en scène claire, efficace, tendue de Walter Sutcliffe. Interprétation éclatante que je ne commenterai qu’après la première de vendredi. Beau(x) décor(s). Un bémol pour les costumes féminins, trop « catalans » et qui donnent une couleur folklorique à un opéra qui bannit l’anecdote et le local. Pour cette œuvre mal connue et de fait méconnue, cette notice peut permettre de situer cet opéra qui mérite beaucoup, beaucoup mieux que l'oubli dans lequel il est tombé.

Le nombre de musiciens dont on suggère qu’ils auraient influencé l’œuvre d’Eugen d’Albert (1864 – 1932) est considérable et constitue une sorte de record. A lire ici ou là les commentateurs ou critiques musicaux, on pourrait recenser en effet rien que pour ses opéras et dans le désordre Wagner, Verdi, Puccini, Mascagni, Lehár, Charpentier, Sullivan, Richard Strauss, Reger, Humperdinck. J’en passe et de moins bons.

« L’un des plus grands pianistes de l’histoire », selon Piotr Kaminski, Eugen d’Albert (1864-1932) a composé vingt opéras dont les deux plus connus restent Tiefland et Die toten Augen (Les Yeux morts, 1916). Tiefland date de 1903. Véritable creuset musical, l’œuvre a souvent mauvaise presse, moins à l’évidence pour ses qualités réelles, que pour sa réputation d’être un des opéras préférés d’Hitler. La cinéaste allemande Leni Riefenstahl s’inspira du livret pour tourner un film (1940-1944) du même nom et aisément visible sur Internet. Il ne sortit qu’en 1954 et fut tourné dans les Alpes bavaroises, les Dolomites et les environs de Salzbourg : elle y jouait elle-même le rôle de Marta et empruntait à l’opéra une bonne part de sa musique.
L’action originale se situe en Catalogne : la pièce de théâtre du dramaturge et poète catalan Àngel Guimerà qui a inspiré le livret s’intitule Terra baixa (1896), Basse terre en français (ou le Bas Pays), Tiefland en allemand. Les représentations de cet opéra en France sont rares. Plus nombreuses en Allemagne, elles doivent leur pérennité récente au couple, à la ville comme à la scène, que composent le ténor Peter Seiffert et la soprano Petra-Maria Schnitzer, inlassables défenseurs de l’œuvre, notamment dans une mise en scène de Matthias Hartmann , inaugurée à Zurich en 1998, puis donnée à Barcelone. Outre une transposition de l’action dans quelque régime totalitaire des années 50, on remarque dans le DVD enregistré le trop rare Matthias Goerne dans le rôle du maitre Sebastiano et la subtile direction de Franz Welser-Möst…Signalons encore qu’à leurs débuts Maria Callas et Montserrat Caballé ont chanté le rôle de Marta à Athènes pour la première, à Bâle ou Bielefeld pour la seconde…

Le sujet avait tenté Puccini. Mais Guimerà s’était déjà engagé auprès de d’Albert. L’histoire, aussi simple que dramatique, abonde en scènes fortes. Un propriétaire terrien, criblé de dettes, Sebastiano, cherche à faire un mariage avantageux. Pour sauver les apparences, tout en gardant la belle, il veut faire épouser sa maitresse Marta à son berger, Pedro, homme droit, simple et naïf. Marta violemment opposée à cet arrangement deviendra peu à peu amoureuse de Pedro qui sera conduit à tuer son maitre, et à regagner avec sa bien-aimée les hauteurs pures, loin des basses terres.
Ceux qui assisteront à l’une des cinq représentations prévues (il reste des places ! ) auront peut-être écouté le bon conseil de Piotr Kaminski quand il signale dans sa notice des Mille et un opéras : « Il nous semble plus avantageux d’accueillir cet opéra parmi les agréables demi-réussites qui constituent le fond du répertoire. Certes, d’Albert jongle avec les clichés, mais il le fait avec habileté, nous autorisant d’oublier son absence d’originalité pour goûter aux simples plaisirs lyriques ».

Un fil a été ouvert sur les enregistrements de Tiefland et élargi à d’autres opéras ici :
viewtopic.php?f=4&t=19119

L’opéra sera diffusé le dimanche 22 octobre à 20h sur France Musique.

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Re: D’Albert - Tiefland - Flor/Sutcliffe - Toulouse - 09-10/2017

Message par jeantoulouse » 30 sept. 2017, 14:09

Le Prophète concluait la saison précédente du Capitole. Tiefland ouvre la nouvelle. Qui prétendra que nos théâtres ne sont pas imaginatifs et audacieux ? D’autant que les deux productions se révèlent de qualité et à bien des égards remarquables.


Tiefland n’est pas un chef d’œuvre. C’est cependant un opéra plus qu’estimable, qui mérite mieux que l’ostracisme dont il a fait l’objet. Certes, les personnages peuvent paraitre bruts, voire archétypaux, formant sans la renouveler la triade ténor/soprano/baryton sur laquelle sont construites une bonne part des œuvres. Assurément, la musique est une sorte de patchwork subtilement agencé par ailleurs, sans qu’on puisse exclure l’ironie ou le jeu du compositeur lui-même. On peut trouver des passages un peu lourds, comme cette musique que je nommerais de western au départ de la noce. Mais l’ensemble se tient et bien des moments vibrent d’une réelle intensité. Ajoutons que pour un opéra que l’on dit privé de grands airs, il est facile de repérer des passages mélodiques dont le retour régulier assure l’unité de construction. De fait, l’opéra d’Eugène d’Albert allie une rigoureuse construction dramatique et une richesse musicale d’une réelle efficacité. Organisé comme une tragédie classique (quasi unité de lieu, unité de temps, unité d’action), il concentre l’attention sur trois personnages modestes, humbles, fortement caractérisés et plongés dans un drame dont ils sont tout à la fois les acteurs et les victimes. L’intérêt de la mise en scène de Walter Sutcliffe est de respecter la dramaturgie de la tragédie et la violence du drame. La note d’intention n’éclaire guère la perception de l’œuvre : « Je vois Tiefland comme une œuvre fondamentalement naturaliste, et le décor et les costumes refléteront cela. Cependant, ils ont aussi une valeur symbolique. Notre proposition jouera avec cette tension entre notre désir de contrôler la nature par les technologies et la façon dont la nature s'y soustrait. ». Le spectateur verra plus simplement l’opposition nette entre les deux univers, celui de hauteurs vierges et pures (beau décor initial d’une chaine de montagnes qui sort peu à peu des brumes et de la nuit et que souille un instant le vol d’un sachet plastique) ; celui des basses terres, matérialisées par un intérieur moderne, industriel où un moteur de minoterie jouxte le modeste appartement de l’ouvrier meunier. Le passage orchestral entre le Prélude pyrénéen et la descente dans l’enfer mécanique suit la progression de Pedro quittant ses pâturages (beaux effets de lumière) pour se perdre dans l’enfer moderne. Si les costumes masculins ne souffrent d’aucune faute de goût (à l’exception très fugitive de l’habit de cérémonie prévu pour le mariage de Pedro, inutilement grotesque), comment justifier si ce n’est par un naturalisme de mauvais aloi que les dames et singulièrement l’héroïne soient affublées de costumes colorés qui dépareraient même le dernier acte de Carmen ? Tout le reste de la dramaturgie mérite compliment. Deux éléments émergent : l’intelligence du décor dont le grand escalier à double entrée renforce la fluidité des déplacements et la variété des points de vue, laissant à la perspective de la chambre de Marta toute la place symbolique centrale. La direction d’acteurs s’avère aussi forte et puissante. La tension entre Marta et Sebastiano, la lutte sauvage entre le maitre et Pedro sont des moments qui ne basculent ni dans le ridicule (combien de combats sur scène nous ont paru peu crédibles !) ni dans la grandiloquence. Sobres mais intenses, ces scènes nouent l’action avec une efficacité qu’il faut saluer. Nous retrouvons alors pleinement les qualités de Walter Sutcliffe que nous avions tant apprécié dans son doublé Britten (Owen Windgrave, Le Tour d’Ecrou)

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Crédit Patrice Nin

L’interprétation est à la mesure de cette réussite « théâtrale ». Saluons d’emblée la performance musicale de l’orchestre du Capitole, conduit une nouvelle fois par Claus Peter Flor. Le tendre prélude pastoral et son bucolique solo de bois, l’illumination progressive d’une aurore se levant sur des cimes immaculées dessinent un vrai tableau sans originalité peut-être, mais qui convoque toute la science musicale du compositeur. L’auditeur se laisse aller non au plaisir de la nouveauté ou de la surprise, mais à celui, simple et appréciable de la re-connaissance (comment ne pas songer à la Sixième de Beethoven ?). Si surprise il y a, elle réside dans la découverte d’un traitement ludique, humoristique, ironique peut-être du dialogue initial entre Pedro et Sebastiano, à cent lieues du drame qui s’amorce pourtant. Et rendons grâce au chef de jouer à fond la différence des registres, les jeux de couleurs contrastées, sans chercher à unifier ce qui ne saurait l’être. On retrouvera ce même contraste entre la scène des Filles non pas du Rhin mais de la Catalogne et leur persiflage d’une part et d’autre part les grands moments du drame que constituent les deux récits de Pedro et de Marta, ou les affrontements de l’acte II. A ses éloges sur l’interprétation orchestrale, - et le chef a bien raison de faire monter sur scène la soliste du prélude -, il faut associer (bis repetita) les chœurs du Capitole qui, sans jouer un rôle essentiel, participent à l’action avec cohésion, force et finesse musicale.

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Crédit Patrice Nin

La soprano américaine Meagan Miller chante essentiellement les héroïnes wagnériennes (Senta, Elsa, Elisabeth, Sieglinde, bientôt Isolde) ou de Strauss (Ariane, Daphné, L’impératrice) sur bien des scènes. Cette proximité avec des rôles si exigeants sert à l’évidence son interprétation de Marta, personnage humilié et profondément malheureux auquel l’amour peut apporter rédemption et bonheur. De haute stature, elle parvient cependant à rendre sensible la vulnérabilité du personnage, sa faiblesse, puis sa dignité retrouvée. La voix, un rien voilée, recèle des trésors de puissance et d’engagement. Le récit de ses malheurs au mélodramatisme littéraire appuyé bénéficie à la fois de l’accompagnement sobrement efficace d’un orchestre sensible et d’une interprétation lyrique retenue, rendue ainsi plus émouvante.
On avait découvert ici même Nikolai Schukoff dans Grandeur et Décadence de la Ville de Mahagonny (2010) puis son Turridu dans Caballeria rusticana (2014) sous la direction de Tugan Sokhiev. Le ténor autrichien qui va chanter cette saison Siegmund et Parsifal compose un Pedro dramatique et ardent. La voix rayonne dans l’hymne initial à la montagne, impose son amour avec véhémence, rugit contre le maitre odieux. Il manque de nuances, dira-t-on ? Le rôle n’en permet guère et la vaillance de la voix convainc pleinement. Ajoutons que Nicolai Schukoff au physique avantageux se révèle un acteur généreux, dont l’engagement rappelle celui d'un Villazon. Le baryton allemand Markus Brück, cette année partenaire au MET de René Fleming et Elina Garanca, dans le rôle de Faninal du Chevalier à la Rose, chante essentiellement à l’opéra de Berlin. A son répertoire, les grands barytons verdiens, le Figaro du Barbier, Amfortas, bientôt Rigoletto ou Escamillo. Il fait montre pour ce personnage de « méchant » (salaud serait plus exact), de morgue, de cynisme et d’une voix pleine d’assurance aux graves profonds. Il peut même rendre crédibles ses déclarations d’amour à Marta, complexifiant ainsi un personnage que d’aucuns pourraient caricaturer. Tous les comprimarii justes, bien choisis (délicate et fraiche Nuri d’Anna Schoeck, Tomaso tourmenté de Scott Wilde)) complètent sans faute la triade gagnante.
La salle chaleureuse, moins dense qu’à l’accoutumée en ce soir de Première, a manifesté son vif plaisir à cette découverte bienvenue qui induit la question récurrente: pourquoi un si long purgatoire pour cet opéra aux qualités que beaucoup d'autres pourraient lui envier ?

Jean Jordy

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Re: D’Albert - Tiefland - Flor/Sutcliffe - Toulouse - 09-10/2017

Message par truffaldino » 02 oct. 2017, 19:27

Je recommande la lecture de l'analyse musicologique de Michel Lehmann, (Université Toulouse Jean Jaurès), présentée en quelques pages dans le livret programme, remis gracieusement aux spectateurs. Erudit et limpide, l'auteur explique pourquoi le vérisme ou le romantisme allemand auxquels on pense en permanence, sont en fait des leurres qui ne sont pas les bons tiroirs esthétiques pour classer une oeuvre du début du XXième siècle. Multipliant les références, Lehmann nous enjoint également de ne pas apparenter non plus Pedro aux naïfs Parsifal ou Siegfried, même certaines scènes nous amènent plus d'une fois à ces comparaisons. Et ainsi de suite.
Mais au final, à force de nous faire la liste de ce que n'est pas Tiefland, on finit par se poser la question de ce que ca peut bien être. J'avoue n'avoir pas de réponse après les 2H45 de spectacle, certes émaillé de qualités à l'orchestre/chant et dans la mise en scène, mais qui m'interroge, au contraire de Jean, sur l'intérêt d'avoir exhumé cette "demi-réussite" (Kaminski cité plus haut), qui autorise en toute bonne logique à penser aussi à une demi-déception. (édité pour clarifier)

jeantoulouse
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Re: D’Albert - Tiefland - Flor/Sutcliffe - Toulouse - 09-10/2017

Message par jeantoulouse » 03 oct. 2017, 16:50

truffaldino a bien raison de pointer la qualité des analyses musicologiques de Michel Lehman, toujours pertinentes, originales, approfondies.
Remarquons par ailleurs combien cette saison capitoline s'ouvre sous de nouveaux auspices : programme allégé et devenu gratuit ; informations complémentaires (biographie des chanteurs, études annexes) renvoyées sur le site Internet du théâtre ; promotion faite sur YT et sur le site du Capitole de l’œuvre et de la production encours. Christophe Ghristi prolonge et adapte ce qu'il avait commencé à l'Opéra de Paris : donner au public une vision de l'opéra en offrant aux plus curieux des éclairages dramaturgiques ou musicaux sur l’œuvre.
Ainsi sur Tiefland on pourra trouver plusieurs "épisodes", notamment deux moments fort intéressants : en répétition Nicolaï Schukoff interprète le récit de la mort du loup ; puis au piano explicite les rapports qu'il sent entre l'opéra de Tiefland et Carmen. Apparemment ce rapprochement a aussi marqué le metteur en scène. http://www.theatreducapitole.fr/

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Re: D’Albert - Tiefland - Flor/Sutcliffe - Toulouse - 09-10/2017

Message par HELENE ADAM » 21 oct. 2017, 11:21

retransmission sur France Musique, dimanche 22 octobre à 20h, enregistrement du 29 septembre

https://www.francemusique.fr/emissions/ ... tole-37383
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
Elle : Eh bien ! donc, frappez votre père ! venez, de son meurtre souillé, traîner à l'autel votre mère

Mon blog :
https://passionoperaheleneadam.blogspot.fr

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Re: D’Albert - Tiefland - Flor/Sutcliffe - Toulouse - 09-10/2017

Message par westerwald » 22 oct. 2017, 12:39

avant d'aller écouter "Kein Licht", si ce petit HS est permis, une précision discographique concernant une autre œuvre de D'Albert peu connue et mentionnée supra : "Die toten Augen" :

Myto Records, direct de Stuttgart 1951, dirigé par Walter Born, avec Windgassen ; en bonus WW chante des extraits de D'Albertn Pfitzner et Wagner (Siegfried)

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