Festival de musique ancienne et baroque de Saint-Michel en Thiérache 2017
Un monde de représentations, entre cantate et opéra.
Héroïnes tragiques
Jean-François Dandrieu (1682-1738) – Sonate en trio en sol mineur op. 1 n°3
Michel Pignolet de Montéclair – Cantate La Bergère pour voix seule et symphonie
Henry Purcell – Dido’s Lament (Dido and Aeneas)
Georg Friedrich Handel – Sonate en trio en do mineur op. 2 n°1
Georg Friedrich Handel – Air de Storgè : « Some dire event… Scenes of horror » (Jephta)
Louis Nicolas Clérambault – Cantate Léandre et Héro pour voix seule et symphonie
Georg Friedrich Handel – Air de Dejanira « Where shall I fly? » (Hercules)
Bis : Johann Sebastian Bach – « Erbarme Dich » (La Passion selon Saint Mathieu)
Eva Zaïcik, mezzo-soprano
Taylor Consort
Théotime Langlois de Swarte – violon
Sophie de Bardonnèche – alto
Louise Pierrard – viole de gambe
Justin Taylor – clavecin
Abbaye de Saint-Michel en Thiérache, 25 juin 2017
Inaugurant la dernière cession du festival de Saint-Michel-en-Thiérache, le Taylor Consort célébrait les affres de l’amour et du désespoir. C’est en effet par des va-et-vient entre l’opéra et la cantate que ces héroïnes malheureuses faisaient part de leurs tourments : amours trahies ou contrariées, horreurs entrevues – tant celle de la mère devinant grâce à un songe prémonitoire le futur sacrifice de sa fille, que la folie grandissante de l’épouse vengée mais égarée – formaient la trame d’un passionnant programme.
La délicieuse Eva Zaïcik se coulait avec flamme dans ces pages de cantate française pour lesquelles sa diction superlative et la fluidité de son discours font merveilles. Les tourments d’une Bergère que l’on devine ici de soie vêtue étaient cependant un rien moins convaincants que ceux de la malheureuse Héro, finalement unie à son Léandre par un Neptune qui ne manque pas d’intervenir, en deus ex machina qui connait son affaire. Les influences italiennes qui influencèrent si souvent Montéclair sont ici bien discrètes, aussi était-ce la pureté de la déclamation de la mezzo qui emportait ce récit, en dépit d’un manque d’approfondissement du sous-texte. En revanche, on ne pouvait qu’être pleinement enthousiasmé par cette miniature tragique que sont les amours malheureuses de Léandre et Héro, dans laquelle finesse de l’ornementation, retenue emplie d’émotion et éclats mordorés participaient de cette évocation puissante et poignante. Ce sommet dans l’œuvre de Clérambault était l’un des moments suspendus de la matinée.
On demeurait toutefois un peu sur sa faim pour les deux airs haendéliens, moins idiomatiques, et qui se cantonnaient davantage à la surface des personnages, en dépit d’une belle détermination et d’un engagement sans fards. Etait-ce dû à une vocalisation moins aisée pour la scène de folie de Déjanire ?
La déploration de Didon, ornée avec goût, au revers d’une tradition parfois trop minimaliste, étreignait le cœur ; le timbre lustré et la fougue ombreuse de la soliste y étaient idéaux. Ainsi que dans l’extrait de la Passion selon Saint Mathieu, instant de grâce.
Une sonate en trio de Dandrieu, élégamment délivrée, introduisait ces pages et mettaient en relief le violon véloce et goûteux de Théotime Langlois de Swarte. Tout du long du concert, on ne pouvait qu’admirer la complicité des jeunes interprètes, ainsi que la sapidité corsée et délicate, en un délectable oxymore, d’un violon alerte, d’un alto frémissant et d’une viole de gambe chaleureuse, et regretter que le superbe clavecin de Justin Taylor ait été un rien trop en retrait.
Une ovation enthousiaste a salué ces instants raffinés d’intelligence musicale.
Scènes de clavier
François Couperin — Passacaille (Pièces de Clavecin, 8e ordre)
J.S Bach — Ouverture française BWV 831 (Ouverture – Courante – Gavotte I/II – Passepied I/II – Sarabande – Bourrée I/II – Gigue – Echo)
G.F. Handel-F. Liszt — Sarabande et Chaconne de l’opéra Almira
Kit Armstrong, piano
Eglise Ste-Thérèse (Hirson), 25 juin 2017
C’est dans l’étrange église Sainte-Thérèse désormais désacralisée et qu’il a transformée en lieu culturel après l’avoir achetée, que le pianiste américain Kit Armstrong présentait un programme qui trouvait son fondement dans la musique baroque. Probablement convaincu que l’instrument moderne est totalement impropre à traduire la subtilité de la rhétorique instrumentale du Grand Siècle, le pianiste ne tenta pas même de s’approximer de la tonalité du clavecin, par une imitation malencontreuse. Au contraire, il donna libre court à un jeu aux riches harmoniques, tout en restant d’une grande précision rythmique. La paraphrase de Liszt lui permit de manifester pleinement ses qualités virtuoses, tandis que le bis de Byrd concluait avec forces « trompettes », en une allégresse jubilatoire.
Duel londonien
Nicola Porpora — Sinfonia en trio op. 2 en do majeur
Nicola Porpora — Salve Regina, cantate pour contralto en fa majeur
Nicola Porpora — Largo du concerto pour violoncelle en sol majeur
Nicola Porpora — « Alto Giove » (Polifemo)
Georg Friedrich Handel — Sinfonia allegro HWV 338 (1er mouvement)
Georg Friedrich Handel — « Verso gia l’alma nel core » (Aci, Galatea e Polifemo)
Georg Friedrich Handel — « Stille amare » (Tolomeo)
Nicola Porpora — « Tradita, sprezzata » (Semiramide riconosciuta)
Georg Friedrich Handel — Sinfonia et « Cara Sposa » (Rinaldo)
Georg Friedrich Handel — Sinfonia Concerto X opus 6 (HWC 238)
Nicola Porpora — « Fuggi, fuggi degli occhi miei » (Semiramide riconosciuta)
Bis: « Lascia, ch’io pianga » (Rinaldo)
Orfeo 55
Nathalie Stutzmann, contralto et direction
Abbaye de Saint-Michel en Thiérache, 25 juin 2017
On ne présente plus Nathalie Stutzmann, tant cette dernière arpente depuis longtemps les chemins du baroque. Mais ce territoire ne borne pas sa curiosité, puisqu’elle a dirigé avec un immense succès un Tannhäuser version française à Monte Carlo en mars dernier. Cette fois-ci, c’est avec son ensemble que l’énergique contralto a concocté un programme rassemblant deux ennemis musicaux, les compositeurs Porpora et Haendel, tout aussi célèbres en leur temps. Si le second a gagné depuis longtemps la bataille de la postérité, le premier mérite bien mieux que sa réputation de rival d’Haendel, comme l’ont déjà prouvé de nombreuses résurrections de ses œuvres.
Parfois un peu brouillon, le tonus de la contralto emporte ce concert sur les cimes de son enthousiasme. Empoignant ces partitions à bras le corps, se démultipliant, qu’elle donne un départ ou qu’elle se concentre sur son chant, elle fait sienne les douleurs de ces héros expirants ou de ces héroïnes blessées. C’est néanmoins dans la sobriété haendélienne et son aspect élégiaque qu’elle est la plus percutante, les bigarrures d’affects violents s’entachant ici de quelques glissements outranciers parfois éloignés des intentions premières des compositeurs. Son timbre si reconnaissable s’y déploie et emplit la large nef de l’abbaye, sa solidité et sa souplesse réfléchissant l’architecture singulière et si séduisante de l’édifice gothique et baroque à la fois. Orfeo 55, ductile et dynamique, entoure la voix de sa fondatrice d’un lyrisme attentif et impétueux.
Emmanuelle Pesqué
Photographies (c) E. Pesqué
Festival de St-Michel en Thiérache - 3 concerts - 25/06/2017
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Festival de St-Michel en Thiérache - 3 concerts - 25/06/2017
Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles. - M. Leiris
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Re: Festival de St-Michel en Thiérache - 3 concerts - 25/06/2017
Merci pour ces comptes rendus de concerts très intéressants.
Le premier avec la mezzo Eva Zaïcik me semble avoir été passionnant. En restera-t-il une trace?
Le premier avec la mezzo Eva Zaïcik me semble avoir été passionnant. En restera-t-il une trace?
Rundinella http://piero1809.blogspot.fr
Re: Festival de St-Michel en Thiérache - 3 concerts - 25/06/2017
Hélas non, il n'a été capté pour les archives du festival...
Oui, c'était un fort beau concert
Oui, c'était un fort beau concert
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
Odb-opéra
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