Récital K.Mattila/V.Matvejeff - ONR - 03/05/2017

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Piero1809
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Récital K.Mattila/V.Matvejeff - ONR - 03/05/2017

Message par Piero1809 » 09 mai 2017, 11:20

Karita Mattila, soprano
Ville Matvejeff, piano

Amours interdites : pleurs, peurs et songes d'une femme

Johannes Brahms
Zigeunerlieder, op. 103
Richard Wagner
Wesendonck Lieder: Der Engel, Stehe still, Im Treibhaus, Schmerzen; Träume
Alban Berg
Vier Lieder op. 2: Schlafen, schlafen; Schlafend trägt man mich; Nun ich der Riesen; Warm die Lüfte.
Richard Strauss
Der Stern (op. 69 n°1), Wiegenlied (op. 41 n°1), Meinem Kinde (op. 37 n°3), Ach Lieb, ich muss nun scheiden (op. 21 n°3), Wie sollten wir geheim sie halten (op. 19 n°4), Allerseelen (op. 10 n°8),
Cäcilie (op. 27 n°2)

Strasbourg-opéra, mercredi 3 mai 2017

Karita Mattila et Ville Matvejeff nous ont offert un programme homogène consacré au romantisme et post-romantisme allemand avec des œuvres relativement peu connues que l'on avait plaisir à réentendre ou à découvrir.
Les Zigeunerlieder de Brahms, composés en 1888 sont des œuvres tardives du compositeur sur des poèmes issus de chants populaires hongrois. Dans ces chants très brefs, Brahms nous régale de belles mélodies pleines de sève aux rythmes entrainants. La mélancolie un peu brumeuse qui imprègne de nombreuses œuvres vocales du compositeur est absente dans ces œuvres lumineuses et ardentes où règne principalement la sensualité et la passion amoureuse.
Avec les Wesendonck Lieder, composés en 1857-8 sur des poèmes de Mathilde Wesendonck, pratiquement en même temps que l'opéra Tristan und Isolde, on rentre de plein pieds dans l'univers wagnérien des grands opéras de la maturité. On retrouve des idées qui fleuriront dans La Walkyrie et surtout dans Tristan. Notamment dans Traüme qui débute et se termine avec les harmonies bouleversantes de l'appel de Brangaene à l'acte II. Im Treibhaus, est peut-être le sommet du cycle . Ce dernier chant débute avec un thème chromatique ascendant du piano dans lequel on reconnaît facilement le chant désolé du cor anglais dans le prélude de l'acte III. Wagner nomma d'ailleurs ces deux Lieder : Etudes pour Tristan et Isolde (1).
La plupart des Lieder de Richard Strauss chantés ce soir, sont composés avant 1900, et appartiennent à la jeunesse du compositeur. Basés sur la séduction mélodique, ils apportent un éclairage intéressant sur une période consacrée principalement à la composition des grands poèmes symphoniques. Parmi les Lieder interprétés, certains sont très connus comme Allerseelen et Caëcilie. Allerseelen, à travers un texte, évocation de temps heureux irrémédiablement perdus et une musique consolatrice, rappelle l'univers de Schumann. Wiegenlied déroule trois strophes au magnifique souffle mélodique un peu belcantiste. On penserait presque à Bellini si les modulations sui generis ne nous ramenaient pas vers l'univers Straussien.
Prévus au départ pour baryton, les Lieder opus 2 de Berg sont contemporains du premier quatuor à cordes opus 3. Comme ce dernier et contrairement à la sonate pour piano opus 1 qui est encore tonale, ils sont pratiquement atonaux même si on peut y trouver encore quelques bribes de l'harmonie classique. Ce nouveau langage n'empêche pas Berg de montrer un tempérament dramatique, notamment dans l'impressionnant Warm die Lüfte, qu'il exprimera pleinement dans ses deux opéras Wozzeck et Lulu.

Le timbre de voix particulier de Karita Mattila surprend au début chaque fois qu'on l'écoute mais on est vite conquis par sa typologie vocale dont l'assise large, les graves expressifs, les aigus puissants sont ceux d'une vraie soprano dramatique, idéale pour des rôles tels que Tosca, Salomé, Ariadne, Emilia Marty etc. Ces qualités ont pu s'exprimer pleinement lors du récital. Si l'artiste se ménage encore un peu dans les chants joyeux de Brahms, son tempérament dramatique explose dans Wagner. Elles là dans son élément et, de sa voix puissamment projetée, nous emmène dans l'univers fascinant et mystérieux de Tristan et Isolde. Chez Richard Strauss c'est la technique vocale qui impressionne, notamment une gestion parfaite du souffle, du phrasé, du legato et de la nuance dans le fabuleux Wiegenlied. Une technique parfaitement maitrisée permet de libérer l' émotion qui nous submerge dans Allerseelen.
Avec Ville Matvejeff, la chanteuse a peut-être son accompagnateur idéal. Dans ce programme, la partie de piano est particulièrement exigeante, le clavieriste n'est pas ici un accompagnant mais joue sa propre partition. Chez Brahms, le pianiste met parfaitement en valeur la richesse harmonique de la partie de piano, marque de fabrique du compositeur. Avec son piano nuancé et paré de mille couleurs, Ville Matvejeff fait totalement oublier que les Wesendonck Lieder ont été pensés pour l'orchestre même si Wagner n'en a orchestré qu'un seul. Traüme, träume...sur ces paroles hypnotiques, l'interprète de ce splendide Lied de Strauss qu'est Wiegenlied, déroule de vastes volutes. Les fleurs prolifèrent sous les doigts agiles de l'artiste.
Bref un splendide récital, bien trop court (une heure 30). On retient son souffle jusqu'à la dernière note !

L'accueil chaleureux du public suscita un long bis: un extrait d'une comédie berlinoise de style Kabarett des années 1930, me semble-t-il.

Pierre Benveniste


(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Wesendonck-Lieder

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