Francesconi-Quartett- Davin/Fulljames-Rouen 04/2017

Représentations
Répondre
Avatar du membre
pingpangpong
Baryton
Baryton
Messages : 1531
Enregistré le : 09 déc. 2007, 00:00
Contact :

Francesconi-Quartett- Davin/Fulljames-Rouen 04/2017

Message par pingpangpong » 01 mai 2017, 10:38

Opéra de chambre
Livret de Luca Francesconi d'après la pièce éponyme de Heiner Müller (1980), inspirée librement des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos (1782)
Création à la Scala de Milan le 26 avril 2011

Livret en anglais

Direction musicale Patrick Davin
Mise en scène John Fulljames assisté de Richard Jones
Décors, Costumes Soutra Gilmour
Lumières Bruno Poet
Vidéo Ravi Deepres
Ingénieur son Ethan Forde
Spécialiste de musique assistée par ordinateur Jonathan Green

Marquise de Merteuil Adrian Angelico
Vicomte de Valmont Robin Adams

Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie

Production
Coproduction Royal Opera House Covent Garden, Opéra de Rouen Normandie, London Sinfonietta

Alors que les représentations de son dernier opéra Trompe la mort viennent de s'achever à l'opéra Garnier, Luca Francesconi voit son opéra de chambre Quartett repris à Rouen dans la mise en scène de John Fulljames. Ce spectacle avait été créé au Covent Garden de Londres en 2014, l'oeuvre elle-même ayant vu le jour trois ans plus tôt à la Scala de Milan.

Ce qui frappe de prime abord, c'est la grande modernité de ces deux opéras même si le temps seul nous dira s'ils sont appelés à accéder au rang de classiques du XXIème Siècle, ce qui ne serait que justice.
On y trouve un langage très personnel, complexe, sans concessions tant harmonique que mélodique, mais sans aridité, l'orchestre, souple, déployant ses couleurs à la manière d'un kaléidoscope pour mieux imploser dans des gestes bruts autant que brefs, quasi orgasmiques, les voix étant traitées à la manière d'un artiste qui les sculpteraient sans ménagement, à son gré faisant saillir là des angles tranchants, ici des formes plus sensuelles au lyrisme fugace.

Dans Quartett, la tension et la violence des relations humaines mises en présence a donné lieu à une œuvre musicalement très dérangeante, tels ces bruits de ciseaux entendus dès le début, prenant le spectateur à partie pour mieux l'interpeller et l'impliquer.
C'est également à cette fin que le compositeur a consacré une importante partie de sa partition à un orchestre enregistré sur bande à laquelle s'ajoutent divers sons mixés sur ordinateur et synthétiseur. L'effet est saisissant, l'impression recherchée étant celle de sons brouillant l'écoute, plus ou moins proches dans l'espace, pénétrant les murs de la salle de spectacle où l'auditeur perd pied.
Des projections vidéo et jeux de lumières créent une deuxième dimension, tandis que sur scène, les deux protagonistes, jouant leur propre partition, sont comme enclavés dans le dernier espace humain restant après destruction totale de la civilisation, sorte d'îlot isolé dans les ténèbres.Image
La marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont s'étripent une ultime fois dans une joute oratoire qui leur fait endosser les attitudes et voix de ceux qu'ils ont détruit, à savoir la jeune Cécile Volanges et Mme de Tourvel.
Autodestruction, manipulation et jeu de dupes émaillent des dialogues d'une grande crudité où cynisme et absence d'émotion, sans parler de sentiments, sont la règle, comme ils l'étaient dans les échanges épistolaires de ces deux libertins dans les Liaisons dangereuses de C.de Laclos.

L'oeuvre de L.Francesconi, comme celle de Heiner Müller qu'elle prend pour modèle, se veut une métaphore de nos civilisations malades, d'une fin des temps d'autant plus tétanisante qu'on y assiste à l'intime, autant qu'ultime, duel entre deux ex-amants refusant, dixit le compositeur, “ la finitude humaine “ où le corps est ravalé au rang d'objet.
La production place les protagonistes sur une passerelle métallique, visiblement celle qui surplombent les cintres d'une scène de théatre, et derrière laquelle pendent misérablement des lambeaux de rideaux blanc, la destruction du monde concernant aussi celle du théâtre, de l'opéra, lieu de rencontre entre Valmont et Melle Volanges.
Des projecteurs de chantier alimentés par une batterie, dont Valmont absorbera l'acide avant de mourir d'une longue agonie, apportent leur éclairage froid et glauque à ces vies en déréliction.
La marquise ne porte plus que des haillons tandis que son alter-ego est en sous-vêtements crasseux, et fixe-chaussettes.
Le rôle de la marquise de Merteuil, est ici tenue par l'androgyne Adrian Angelico, mezzo-soprano (sic!) d'origine norvégienne, bluffant(e), connu(e) aussi sous le nom d'Angelica Voje, de quoi brouiller les pistes.
Cet artiste, pouvant assurer des rôles de travestis comme Cherubino, Orlovski, Hänsel ou Octavian,a également mis ceux de Carmen, de Suzuki, de Waltraute ou de Giulietta des Contes d'Hoffmann, à son répertoire.
Merteuil exige beaucoup vocalement et physiquement, et c'est avec les tripes que A.Angelico l'interprète, tout comme à Londres, timbre clair et aigus brillants, laissant admiratif autant que troublé.
Sorte de Sade déchu, le Valmont du baryton britannique Robin Adams, créateur du rôle à la Scala, est tout autant impliqué, l'impact de son timbre chaleureux ne perdant rien lorsqu'il passe en voix de tête pour camper Mme de Tourvel.
Sans faillir, Patrick Davin et l'équipe à la console placée en fond de corbeille, gèrent avec brio sons enregistrés et un orchestre en fosse d'une grande et belle rigueur, qui a dû faire honneur à L.Francesconi, présent dans la salle et, malgré sa réticence à venir saluer, a reçu un accueil chaleureux au rideau final.
D'une durée d'une heure et vingt minutes, cette œuvre cinglante, qu'un Bernd Aloïs Zimmermann n'aurait certainement pas reniée, peut combler amateurs de création actuelle ou simples curieux.

E.Gibert
Enfin elle avait fini ; nous poussâmes un gros soupir d'applaudissements !
Jules Renard

Répondre