Tchaïkovski - La Pucelle d’Orléans vc - Bolchoï / Sokhiev – Tournée 03/2017

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Tchaïkovski - La Pucelle d’Orléans vc - Bolchoï / Sokhiev – Tournée 03/2017

Message par jeantoulouse » 16 mars 2017, 16:50

Orchestre et Chœur du Théâtre Bolchoï de Russie
Tugan Sokhiev, direction
Anna Smirnova, Jeanne d'Arc
Oleg Dolgov, Roi Charles VII
Bogdan Volkov, Raymond
Anna Nechaeva, Agnès Sorel
Andrii Goniukov, Dunois
Stanislav Trofimov, L'Archevêque
Petr Migunov, Thibaut d'Arc
Igor Golovatenko, Lionel
Nikolay Kazanskiy, Bertrand
Andrii Kymach, Le Soldat
Marta Danusevich, L'Ange


Tugan Sokhiev à domicile ! Voici en effet le chef ossète dirigeant dans sa salle de concert de prédilection, non pas à la tête de « son » Orchestre du Capitole mais avec « son autre orchestre » et les artistes du Théâtre National du Bolchoï, dont il est directeur musical. Et pour une œuvre rarement proposée en France du grand répertoire russe Jeanne d’Arc, la Pucelle d’Orléans de Tchaïkovski.

Contemporain du concerto pour violon et du concerto pour piano n° 2, l’opéra La Pucelle d’Orléans (composé en 1878-1879, joué pour la première fois en 1881 au Mariinsky) suit immédiatement Eugène Onéguine. Après le drame intimiste, le grand opéra historique ! Le livret s’inspire d’un texte dramatique de Schiller Die Jungfrau von Orléans (1801). Mais fidèle à la réalité historique, Tchaïkovski en modifie la fin (Jeanne y mourait au combat !), et c’est bien sur un bûcher que Jeanne d’Arc périt brûlée. Enfant, le futur compositeur avait dédié un poème à Jeanne dont les premiers mots laissent percevoir la naïve admiration qui l’inspirait : « On t’aime, on ne t’oublie pas / héroïne si belle ! Tu as sauvé la France, fille d’un berger... ». Dans son opéra, au moins autant qu’à la fresque d’histoire et aux épisodes les plus spectaculaires (couronnement de Charles VII, mort au bûcher, évocation des combats), le compositeur russe s’attache à l’amour que Jeanne éprouve pour Lionel, soldat bourguignon luttant pour les Anglais. L’amour ou la patrie, tel est le dilemme auquel Tchaïkovski confronte son héroïne. Le « merveilleux chrétien » intervient : par exemple la voix d’un ange salvateur viendra rappeler à Jeanne son devoir patriotique.

Les chœurs jouent un rôle prépondérant : chœurs des anges, des jeunes filles, des ménestrels, du peuple, des soldats. Le compositeur multiplie en les variant les masses chorales, au centre d’un drame collectif d’une part, religieux de l’autre, pour accompagner le parcours complexe d’une femme à la fois combattante et portée par la foi. Et aussi amoureuse. Cette concession sentimentale au mélodrame inhérent à tout grand opéra et à ses conventions donne à cette œuvre une dimension qui loin d’affadir le drame accroit l’émotion. La difficulté de cette partition tient sans doute à ce mélange un peu hétérodoxe entre les trois composantes de l’œuvre : la portée politique et son engagement martial, l’élévation spirituelle et l’intervention des anges, la passion amoureuse et le dilemme qu’elle crée.

D’acte en acte, (habilement construit autour d’un lieu et d’un événement emblématiques, Domrémy, Chinon, Reims, Rouen), les sensations et les réactions sur cet opéra que l’on découvre évoluent. La pastorale initiale et l’ensemble de l’acte I rendent sensible la richesse profuse des cordes et la luxuriance de l’orchestre, d’où émerge pour un bel instant poétique un solo de flute rafraichissant. La prière de Jeanne reprise par le chœur féminin fait entendre une mélodie d’un beau lyrisme. L’acte II à la cour de Charles VII ne parvient guère à maintenir l’intérêt malgré un bel arioso d’Agnès Sorel que la soprano Anna Nechaeva pare de notes élégantes. L’arrivée tardive de Jeanne explique en partie la baisse d’intensité dramatique, malgré un final tonitruant dont Tugan Sokhiev ne souhaite pas amortir le caractère un peu kitch. En revanche le septuor de la fin de l’acte III d’une construction très complexe permet de mettre en place une variété de sentiments et d’émotions qui cherche à conjuguer tous les pans du drame. Le contraste entre la scène intime et forte du duo entre Jeanne et Lionel et les fanfares (placées en fond de salle, dos au public) et le déchainement choral et orchestral se veut d’autant plus violent que ce final sonne comme une sorte de production à la Cecil B. DeMille musicale ! L’acte IV avec ces deux moments intenses (duo d’amour admirable et mort de Jeanne) accède à une véritable grandeur.
On est ainsi frappé par la variété des climats offerts par cette partition, alors même qu’à sa création l’opéra fut jugé « ennuyeux et monotone ». Des scènes pittoresques (danse des bohémiens, des pages et des baladins à l’acte II) font entendre un Tchaïkovski moins inspiré que dans ses ballets. Les fanfares martiales, les marches, l’évocation des combats offrent des pages d’une plus grande efficacité dramatique, propres à éblouir et à emporter l’adhésion. Tugan Sokhiev excelle à leur donner leur rutilance, leur brillant, leur éclat et l’Orchestre du Bolchoï fait étinceler ces tableaux comme autant de fresques historiques, sans doute convenues, voire clinquantes, mais étonnamment fraiches. La scène du couronnement de Charles VII à Reims sonne avec toute la magnificence souhaitée par le compositeur, peu avare ici d’effets sonores que d’aucuns trouveront faciles, mais dont on ne peut nier la richesse orchestrale. D’autres moments s’avèrent d’une tout autre intensité, obtenue par des moyens plus délicats. La subtilité de l’orchestration est sensible notamment dans le grand air de Jeanne et son récitatif : « Oui Dieu le veut … Adieu forêts » : la profondeur angoissée, puis le frémissement des cordes réunies, la réminiscence nostalgique du cor accompagnement ce chant où se succèdent l’effroi, la détermination, la douleur, l’engagement de la foi, le déchirement et l’espérance dans un portrait psychologique d’une rare complexité. Que cet air ait tenté les plus grandes en récital n’étonne guère. On découvre par ailleurs un duo d’amour (IV, 1), entre Jeanne et Lionel, d’une rare beauté : Tchaïkovski y célèbre sans boursouflure, sans rien qui alourdisse le mouvement, une fusion des âmes dans une extase de caractère quasi mystique. Le baryton russe Igor Golovatenko et sa partenaire parviennent à en montrer à la fois la fiévreuse intensité et l’exaltation spirituelle.

Huit personnages masculins entourent l’héroïne. On distinguera le trouble Charles VII d’Oleg Dolgov, la fougue véhémente du père de Jeanne, la basse Petr Migunov, l’archevêque tonnant de Stanislav Trofimov, le Lionel humain et noble d’Igor Golovatenko, … et le Dunois d’Andrii Goniukov, bien plus à l’aise dans sa langue natale que dans son récent Sancho du Don Quichotte récent dans la même salle !
Et Jeanne, demanderez-vous ? Elle est incarnée par la mezzo Anna Smirnova. Voix d’airain, alliant puissance d’émission et projection ardente, voilà une héroïne qui ne laisse pas les doutes l’assaillir, les failles l’engloutir. En belle santé, tonique, tout en vaillance, cuirassée de certitudes, elle fait valoir de beaux graves, un aigu plein, sans jamais laisser percevoir le moindre abandon, fût-il amoureux. Mutatis mutandis, une Walkyrie russe, dont il faut saluer la performance. Les Chœurs du Bolchoï manifestent la même fougue, avec un bel engagement , une cohésion et une dynamique qui en imposent. L’Orchestre est de bout en bout somptueux, gorgé de vie et de couleurs, répondant comme un seul homme à un chef comme toujours ardent et généreux, grand organisateur de cette fresque impressionnante.

Merci aux Grands Interprètes pour la découverte d’un opéra qui dans ses excès mêmes fait vivre un Tchaïkovski exalté, plein de sève et de fièvre.

Jean Jordy

Prochain concert à la Philharmonie de Paris vendredi 17 mars 19h. (Première partie 1h 35. Seconde partie 1h05)

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Re: Tchaïkovski - La Pucelle d’Orléans vc - Bolchoï / Sokhiev – Toulouse 15/03/2017

Message par HELENE ADAM » 16 mars 2017, 16:54

merci pour ton CR enthousiaste, je ne connais pas cet opéra non plus et j'espère que l'acoustique de la Philharmonie ne jouera pas trop de tours aux chanteurs ! Mais j'y serai le 17 ! :D
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
Elle : Eh bien ! donc, frappez votre père ! venez, de son meurtre souillé, traîner à l'autel votre mère

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Re: Tchaïkovski - La Pucelle d’Orléans vc - Bolchoï / Sokhiev – Toulouse 15/03/2017

Message par jeantoulouse » 16 mars 2017, 16:56

Enthousiaste ? Je le voulais nuancé ou balancé. Mais c'était une belle découverte en effet.

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Re: Tchaïkovski - La Pucelle d’Orléans vc - Bolchoï / Sokhiev – Toulouse 15/03/2017

Message par truffaldino » 17 mars 2017, 12:31

jeantoulouse a écrit :
16 mars 2017, 16:50
Contemporain du concerto pour violon et du concerto pour piano n° 2, l’opéra La Pucelle d’Orléans (composé en 1878-1879, joué pour la première fois en 1881 au Mariinsky) suit immédiatement Eugène Onéguine. Après le drame intimiste, le grand opéra historique ! Le livret s’inspire d’un texte dramatique de Schiller Die Jungfrau von Orléans (1801). Mais fidèle à la réalité historique, Tchaïkovski en modifie la fin (Jeanne y mourait au combat !), et c’est bien sur un bûcher que Jeanne d’Arc périt brûlée.
Merci Jean.
Les librettistes de Verdi et de Tchaîkovski ont donc tiré une fin très différente de la source Schiller.
Peux tu nous dire un peu plus sur la scène du bûcher ?
Est ce tout le dernier acte? Le procès est-il montré ? Question morbide mais Jeanne chante t elle toujours en proie aux flammes ? Ce serait un exercice d'interprétation très particulier.

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Re: Tchaïkovski - La Pucelle d’Orléans vc - Bolchoï / Sokhiev – Toulouse 15/03/2017

Message par jeantoulouse » 17 mars 2017, 14:14

Je te rappelle qu'il s'agissait d'une version concert. Pas de flamme visible donc !
En tapant sur un site de vidéos gratuites bien connu les éléments suivants "Makvala Kasrashvili - Final "The Maid of Orleans" 8/8", tu pourras te faire une idée très précise du finale. La musique avec habileté et efficacité dramatiques mêle marche funèbre, tournoiement des flammes et suggestion d'assomption sans pathos.
Le dernier acte comprend deux tableaux : le duo d'amour entre Jeanne et Lionel ("Ô, un rêve magique et doux... Tu es avec moi, mon ange") , scène et duo d'une grande beauté ; et le second tableau sur la Grand place de Rouen où Jeanne est conduite au supplice et brûlée. Dans cette adaptation écrite par Tchaïkovski lui-même, le procès n'est pas montré. Mais l'accusation de sorcellerie est proférée par Thibaut d'Arc le père de Jeanne et son fiancé Raymond à la fin de l'acte III, à Reims : ils accusent l'héroïne d'avoir conclu un pacte avec le Diable !

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Re: Tchaïkovski - La Pucelle d’Orléans vc - Bolchoï / Sokhiev – Toulouse 15/03/2017

Message par HELENE ADAM » 17 mars 2017, 15:58

A la Philharmonie de Paris c'est ce soir à 19 h, et il reste quelques places !
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
Elle : Eh bien ! donc, frappez votre père ! venez, de son meurtre souillé, traîner à l'autel votre mère

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Re: Tchaïkovski - La Pucelle d’Orléans vc - Bolchoï / Sokhiev – Toulouse 15/03/2017

Message par MariaStuarda » 17 mars 2017, 23:05

Et les "hordes célestes des anges et des chérubins" dirigées par Tugan Sokhiev déferlèrent sur la Philharmonie ...

Quelle opéra ! Quelle soirée !

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Re: Tchaïkovski - La Pucelle d’Orléans vc - Bolchoï / Sokhiev – Toulouse 15/03/2017

Message par HELENE ADAM » 17 mars 2017, 23:57

MariaStuarda a écrit :
17 mars 2017, 23:05
Et les "hordes célestes des anges et des chérubins" dirigées par Tugan Sokhiev déferlèrent sur la Philharmonie ...

Quelle opéra ! Quelle soirée !
je dirai même plus quel opéra, quelle soirée, waouh ! :D :D :D
C'était la fête des voix (à commencer par l'immense Anna), de toutes les voix, les petits rôles, les grands rôles, les ténors, les baryton, la basse (houlà le calibre !), des instruments (ah ces solos de harpes, de flûte... d'orgue, avec le vrai orgue de la Philharmonie quand tous les panneaux coulissent et dévoilent les tuyaux tous éclairés de toutes les couleurs, ah ces trompettes et trombones installés tout en haut de l'arrière scène). Sokhiev dans son génie de chef inspiré par la musique magnifique de Tchaikovsky avait choisi une disposition originale des chanteurs disséminés dans l'orchestre, intelligent et efficace.
Même de l'arrière scène, presque aucun problème d'acoustique (un petit écrasement du son des choeurs).
Je ne sais pas ce que donnerait cet opéra en version scénique mais musicalement il est grandiose. Difficile à monter sans doute à cause des exigences du plateau à trouver. En particulier le rôle lourd et complexe de Jeanne la pucelle...
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
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Re: Tchaïkovski - La Pucelle d’Orléans vc - Bolchoï / Sokhiev – Toulouse 15/03/2017

Message par MariaStuarda » 18 mars 2017, 00:03

Deux enthousiastes parmi tant d'autres !

Rien à rajouter aux dithyrambes joyeux de Hélène.

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Re: Tchaïkovski - La Pucelle d’Orléans vc - Bolchoï / Sokhiev – Toulouse 15/03/2017

Message par genoveva » 18 mars 2017, 09:22

Et moi je dis la même chose !!!!!!! quelle soirée !!!!!

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