Quelques mots sur la séance du 10 janvier
La mise en scène n'a rien de remarquable à part ce coup de théâtre de dernière minute qui est assez surprenant et n'apporte rien à cet opéra réputé pour "se terminer bien" contrairement à Lucia. J'en soulignerais plutôt le très beau travail d'éclairage qui créée l'essentiel des émotions dans la mise en situation des personnages et le drame qui se noue puis se dénoue. Si l'on juge un metteur en scène (et ses accolytes) au fait qu'il facilite le travail des chanteurs dans l'incarnation de leurs personnages, on ne peut que féliciter Dew pour son travail
Datant de 1994, cette mise en scène fait couler beaucoup d'encre en son temps. Je ne suis pas sûre qu'il existe encore des spectateurs viennois qui la découvrent, d'autant plus que Vienne passe en livestream cet opéra presque tous les ans...
Deux faiblesses globales dans la distribution :
- la direction de
Pido, qui rate complètement son ouverture (molle, molle, molle) avant de se rattraper un peu surtout à l'acte 3 mais sans toujours donner à cette sublime musique, ce qu'elle mériterait. Très bel orchestre (et magnifiques solistes instrumentaux) qui corrigent un peu les limites (connues ici) du
maestro.
- le très décevant Riccardo de
Adam Plachetka. le baryton était peut-être en méforme passagère mais il s'est trouvé en difficulté vocale dès son arrivée sur le plateau. Son "Ah, per sempre io ti perdei" est souvent faux dans les "aigus", voix fatiguée et peu harmonieuse. Ce qui gâche un peu le début
"Suoni la tromba", vers la fin le baryton reprend des couleurs mais bon... (j'ai l'impression que ça fait des années que je n'arrive pas à entendre ce duo dans toute sa beauté...
).
Le reste du plateau vocal sans être Top-niveau (et loin des références dont Jérôme, Jean-Didier et Lucas se font les échos dans les posts précédents) est globalement séduisant : bon Sir Giorgio de
Jongmin Park qui manque parfois un peu d'originalité dans son jeu (toujours assez statique comme un vieux sage) mais qui assure un très beau duo avec Elvira à l'acte 1 avant de recueillir une ovation méritée après un superbe et très émouvant
"Cinta di fiori".
Venera Gimadieva est une jeune soprano Russe de 33 ans, étoile du Bolchoi, où elle chante surtout Violetta (elle y est LA traviata de référence). Violetta qu'elle a aussi chanté à Bastille dans l'une des reprises de la mise en scène de Jacquot, elle a également été une " Reine de Chemakha" (le Coq d'or) remarquée (par moi notamment
) à la Monnaie et dans d'autres opéras, elle a déjà chanté Elvira, Lucia occasionnellement. Vienne pour cet Elvira en janvier et Munich et le teatro real de Madrid pour Lucia, dans les mois qui viennent, devraient la confirmer comme une des sopranos intéressantes du moment, même si son principal port d'attache reste le Bolchoi.
Son timbre est plus corsé que celle de sa consoeur
Peretyatko, elle a un medium beaucoup plus riche et une voix très ronde qui sait moduler et vocaliser avec beaucoup de charme. Il lui manque AMHA un peu d'épaisseur dans les aigus qui sont parfois trop délicats mais dans l'ensemble, si on y ajoute la beauté du jeu, elle a été très, très convaincante dans cette Elvira. Et très applaudie à juste titre.
Mais c'est l'Arturo de
Dmitri Korchak qui m'a le plus agréablement surprise. J'avais gardé en mémoire le souvenir d'un jeune ténor s'égosillant vainement à la Bastille dans les décors ouverts de Pelly, et presque sans voix au moment de son
Corre a valle, corre a monte, ratant ses duos de l'acte III et notamment ses redoutables contre-notes. Rien de tout cela à Vienne : une salle à l'acoustique moins cruelle, un décor avec mur du fond, et surtout un artiste qui, me semble-t-il, a beaucoup progressé dans sa maitrise du rôle.
Korchak montre beaucoup de vaillance pour interpréter ce rôle plutôt difficile, le timbre est beau et riche en harmoniques, la voix capable de nuances (ce qui lui fait perdre le côté "bucheron" qu'il avait à ses débuts), et les aigus sont lancés "forte" et... réussis dans l'ensemble. Cela donne un Arturo capable d'accents dramatiques importants mais aussi d'acrobaties dans les aigus. Pas parfait mais nettement plus séduisant que sa prestation parisienne dans le même rôle.
Les duos entre elle et lui à l'acte 3 ont été un grand moment d'émotion...
Une soirée qui a été chaleureusement accueillie par le public, à juste titre, et de jeunes artistes à suivre....
Venera Gimadieva, donnant des autographes après la représentation de Vienne (photo de son site)