Dvorak - Rusalka - Jurowski/Wieler/Morabito - Genève 06/2013

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JdeB
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Dvorak - Rusalka - Jurowski/Wieler/Morabito - Genève 06/2013

Message par JdeB » 27 juin 2013, 07:36


Rusalka, conte lyrique en 3 actes d’Anton Dvorak (1901)

Direction musicale; Dmitri Jurowski
Mise en scène; Jossi Wieler | Sergio Morabito
Reprise de la mise en scène; Samantha Seymour
Décors; Barbara Ehnes
Costumes; Anja Rabes
Lumières; Olaf Freese
Vidéo; Chris Kondek
Chorégraphie; Altea Garrido
Chœur; Ching-Lien Wu

Le Prince; Ladislav Elgr
La Princesse étrangère; Nadia Krasteva
Rusalka; Camilla Nylund
L'Ondin; Alexey Tikhomirov
Jezibaba; Birgit Remmert
Le Garde-chasse; Hubert Francis
Le Marmiton; Lamia Beuque
Le Chasseur; Khachik Matevosyan
Première Dryade; Elisa Cenni
Deuxième Dryade; Stephanie Lauricella
Troisième Dryade; Cornelia Oncioiu
Le Chat; Claire Talbot

Orchestre de la Suisse Romande
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Représentation du 16 juin 2013.



Entre 1870 et 1901 Dvorak a composé 11 opéras, convaincu que l’opéra est le genre artistique le plus digne du peuple tchèque. Genre musical qu’il connaît bien, lui qui a été alto solo au théâtre provisoire de Prague durant de nombreuses années. N’ayant connu aucun échec à leur création, il est surprenant que ces oeuvres soient tombés dans l’oubli. Seule Rusalka est restée au répertoire des maisons d’opéras et encore il faut attendre Marseille en 1982 pour des représentations dans un pays francophone. Quant à Genève, en 2013, c’est une première ! La production est celle du festival de Salzbourg 2008, reprise en 2012 au Covent Garden (là aussi une première).
Rusalka bénéficie d’un livret dramatiquement efficace et d’une musique magnifiquement orchestrée alternant les moments passionnés, les passages délicats ou pittoresques. Mais c’est un conte lyrique : est-ce la raison de la timidité des directeurs à monter cette œuvre ? Ou bien est-il trop tchèque ? En effet Dvorak, comme Smetana ou, dans un autre domaine Alfons Mucha, sont les acteurs essentiels du renouveau culturel tchèque en opposition à la domination germanique. Mais Dvorak n’est pas un révolutionnaire, il se contente d’un retour aux traditions des contes dans de sombres forêts de Bohême parsemées de lacs silencieux. Il n’a de discours ni sur l’impérialisme austro-hongrois, ni sur l’indépendance. Assemblage de la Petite Sirène d’Andersen et de l’ Undin de Friedrich de la Motte Fouqué, le livret met en scène des personnages issus de rêves folkloriques : une nymphe de rivière (Rusalka), des « petites femmes des bois » (les Dryades). Mais Rusalka n’est pas un conte pour enfants.
La paire Jossi Wieler/Sergio Morabito n’en sont pas à leur première mise en scène plaçant l’intrigue dans le quotidien d’aujourd’hui. Les Noces de Figaro à Amsterdam en 2006 se déroulaient dans une concession automobile ! Et leur Rusalka de 2008 à Salzbourg (et sa reprise à Londres en 2012) fut huée avec force. Rien de cela ce soir à Genève : les applaudissements furent nourris mais ne s’adressaient-ils pas plutôt aux interprètes qu’aux metteurs en scène, absents aux saluts ?
Que penser d’une transposition de ce conte dans un lupanar de province dont la mère maquerelle n’est autre que la sorcière Jezibaba et les filles, les Dryades ? Toutes quatre ont le même toc (trouble obsessionnel compulsif) : collectionner, admirer, caresser, porter d’ extravagantes chaussures à talons, symboles, semble -t’il, de la vie humaine terrestre et pédestre, et donc de l’amour pour les mortels humains auxquels elles rêvent toutes ! L’Ondin n’est-il qu’un Neptune alcoolique, incapable de gérer son bordel aqueux, et le Prince et ses invités, d’éventuels clients ? Le décor est kitschissime et très réussi, selon le parti-pris des metteurs en scène, ou particulièrement laid et étriqué (une palissade de bois et une fenêtre à rideau de velours rouge) comme dans la première et la dernière scène. Des canapés aux couleurs criardes, un crucifix en néon et une Bible jetée à terre. Des attitudes lascives évoquant les déplacements aquatiques. Une sorcière qui entre en scène en déambulateur. Le marmiton qui s’acharne, au deuxième acte, à tripatouiller les viscères d’un agneau... En revanche le chat-mime, à taille humaine, de la sorcière est remarquable de justesse.
Je suis prêt à admettre toute mise en scène modernisant un livret (cf. la réussite du Barbier de Séville de Genève de 2012) mais peut-on considérer la provocation pour la provocation comme une véritable vision interprétative ? Surtout lorsque celle-ci met en contradiction le texte et la mise en scène. Au dernier acte le livret précise que Rusalka jette dans le lac le couteau donné par Jezibaba tandis que la Rusalka de Wieler/Marabito l’utilise pour se donner la mort : elle reste ainsi étendue au sol, sanguinolente, durant la suite de la scène pendant laquelle l’action continue dans l’indifférence de sa présence. Mais, miracle! Elle apparaît au Prince dans la dernière scène pour lui donner le baiser mortel final et c’est le Prince qui est jeté dans le lac par Rusalka tandis que le livret précise que Rusalka plonge dans l’onde ! Dans le programme de ce soir, Sergio Morabito insiste sur le conflit qui lui apparaît essentiel dans cette œuvre, entre l’univers des esprits et des divinités païens et leur récupération par un christianisme totalitaire d’où les croix et Bible. Mais la mise en scène caricaturale n’est guère convaincante : elle apparaît surtout comme une charge contre le puritanisme du XIXème siècle plutôt qu’un conte philosophique. Jossi Wieler est metteur en scène et directeur de l’Opéra de Stuttgart depuis 2011. Sergio Morabito est dramaturge en chef dans cette même maison depuis 2011 également. Tous deux ont été couronnés de nombreux prix pour leur travail. Dont acte !
Musicalement, c’est une réussite. Dominant la distribution et malgré son silence forcé du deuxième acte, Camilla Nylund possède une voix puissante et subtile, douce et passionnée. C’est elle qui tenait le rôle de Rusalka dans la création de Salzbourg et la reprise de Covent Garden. La sorcière Jezibaba, Birgit Remmert, est impressionnante : une voix capable d’assure le rôle de mère maquerelle avec toute la vulgarité nécessaire mais aussi de gravité et de tendresse avec Rusalka. Deux très grandes voix et deux très grandes comédiennes. Les Dryades (Elisa Cenni, Stéphanie Lauricella, Cornelia Oncioiu) forment un trio d’une harmonie et d’une cohésion rêvées. La Princesse étrangère (Nadia Krasteva) séduit par son autorité hautaine et méprisante. Le Prince (Ladislav Elgr) est un ténor à la voix claire, bien projetée, follement amoureux au premier acte et dramatique au troisième. L’Ondin (Alexey Tikhomirov) est une basse au timbre profond et somptueux qui sait donner un caractère humain et émouvant à ses dialogues avec sa fille Rusalka. Tous les autres rôles sont excellemment tenus : le garde-chasse d’ Hubert Francis est impeccable et le marmiton de Lamia Beuque possède une voix fraîche et tendre parfaite dans ce rôle. Le chœur (dirigé par Ching-Lien Wu) n’intervient que dans le deuxième acte mais avec autorité. L’orchestre de la Suisse Romande est très à l’aise dans cette musique riche d’une harmonie subtile et somptueuse. Le jeune chef russe Dmitri Jurowski (il est né en 1979) est déjà célèbre (La Dame de Pique à Monte Carlo, Aïda à Anvers, Andrea Chénier en 2009 au Deutsche Oper de Berlin). Il sait varier les couleurs de la partition et établir un bon équilibre entre la fosse et le plateau.
« Que m’importe qu’un opéra soit dramatique, pourvu que ce soit de la belle musique ». Dvorak lui-même cité par François Candoni in Avant-Scène Opéra n° 205. 2001 consacré à Rusalka. Rusalka est de la belle musique.

Pierre Tricou
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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