Salieri - Les Horaces - Rousset - CD Aparté 2018

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EdeB
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Salieri - Les Horaces - Rousset - CD Aparté 2018

Message par EdeB » 23 sept. 2018, 13:55

Salieri – Les Horaces

Tragédie lyrique en trois actes, entrecoupés de deux intermèdes (1786)
Livret de Nicolas-François Guillard (1752-1814).

Judith van Wanroij - Camille
Cyrille Dubois – Curiace
Julien Dran - Le jeune Horace
Jean-Sébastien Bou - Le vieil Horace
Philippe-Nicolas Martin - L’Oracle, un Albain, Valère, un Romain
Andrew Foster-Williams - Le Grand-Prêtre, le Grand-Sacrificateur
Eugénie Lefebvre - Une suivante de Camille

Les Talens Lyriques
Les chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles (Olivier Schneebeli, direction)
Christophe Rousset – direction musicale

Enregistré le 15 octobre 2016 à l’Opéra royal du Château de Versailles, dans le cadre de la saison de Château Versailles-Spectacle.

2 CD Aparté, 2018.


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En 1784, l’immense succès des Danaïdes (revivifiées par Les Talens Lyriques en 2013), ouvre toutes grandes les portes de l’Académie royale de musique à Salieri. On commande donc deux autres opéras au successeur désigné de Gluck. Les deux livrets retenus sont ceux des Horaces, par Nicolas-François Guillard (1752-1814) qui s’était déjà illustré avec l’Iphigénie en Tauride de Gluck (1779), et Tarare par Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (que les Talens Lyriques rejoueront bientôt au concert en novembre et décembre prochain ).

Cinq jours après la création versaillaise devant Marie-Antoinette, le 7 décembre 1786, a lieu la première représentation des Horaces à l’Académie royale de musique. Las, l’adaptation en musique de la tragédie de Corneille est un échec et l’opéra sort bien vite du répertoire. Tous les efforts de Guillard pour remettre son texte au théâtre se brisèrent sur l’indifférence ou la raillerie du public. Il faut dire que son livret aux vers souvent maladroit, n’est pas l’un des meilleurs du genre. L’alexandrin cornélien est coriace et résiste héroïquement à sa transmutation chantée… Salieri prit cependant sa revanche l’année suivante avec Tarare qui eut un éclatant succès, également transposé à l’opéra italien sous la forme d’Axur, re d’Ormus. Beaumarchais, dédiant alors son opéra à son compositeur et ami, soulignait que « [son] plus grand mérite en ceci est d'avoir deviné l'opéra de Tarare dans les Danaïdes et les Horaces, malgré la prévention qui nuisit à ce dernier, lequel est un fort bel ouvrage, mais un peu sévère pour Paris ».

Toutefois, ces bonheurs que le texte n’est pas en mesure de donner, la partition de Salieri les suscite amplement, palliant par son ingéniosité et son talent à un support textuel insuffisant. Grâce à sa connaissance intime de la période, son empathie et sa science musicale, Christophe Rousset insuffle vie et unité à ce haut-relief bigarré, dégageant d’une gangue textuelle inflexible et de toute sa pesanteur des marbrures irisées. Sa direction vif-argent rend justice à ce bouillonnement impatient, à ces affects déchirés (bien qu’attendus) et à une magnificence qui sait rejeter la pompe étouffante pour une grandeur parfois martelée par le compositeur. La tension ne se relâche guère jusqu’à la catastrophe du troisième acte ; et cette ardeur irrésistible fait adhérer l’auditeur à cette succession de tableaux de genre où l’incarnat prédomine, dans un chatoiement recréé par des Talens Lyriques chauffés à blanc. Sur leur fresque de cordes hardies, serpentent les méandres d’une flûte, l’ostentation des trompettes et des cors savoureux dans la vivacité de leurs rehauts de couleurs.

La distribution très homogène, où l’on retrouve des chanteurs habitués des productions du Palazetto Bru Zane et du CMBV, incarne avec panache ces Romains et ces Albains qui s’affrontent en une lutte sans merci. Ainsi, Camille (déchirée entre son amant Curiace et ses frères qui doivent s’affronter en un combat mortel) trouve en Judith van Wanroij une interprète vaillante et très touchante. De même, le Vieil Horace ne manque pas de grandeur excessive, et son fanatisme détrempé dans l’airain est admirablement rendu par Jean-Sébastien Bou. Bien que les deux champions soient bien moins servis par le librettiste, Cyrille Dubois affronte crânement et avec beaucoup d’élégance le registre escarpé d’un Curiace s’exprimant principalement en déploration amoureuse ; quant au jeune Horace, la suavité de Julien Dran tempère l’intransigeance d’un personnage monstrueux. Les silhouettes qui traversent le drame sont tout aussi bien servies : Philippe-Nicolas Martin délivre une sorte de récit de Théramène très évocateur, Andrew Foster-William confère une autorité bienveillante au registre religieux du drame, et Eugénie Lefebvre éclaire son rôle de confidente. Aussi impeccables qu’à l’ordinaire, Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles enflamment les peuples de Rome et d’Albe.

Pâtissant de cette mauvaise réputation d’alors, redoublée désormais de celle, injuste, qui s’attache à son compositeur, Les Horaces ne méritent vraiment pas l’opprobre qui s’y attachait. Gageons que le présent enregistrement contribuera à renverser définitivement la légende noire s’attachant à Salieri, et à refaire découvrir un compositeur alors avant-gardiste : annonçant déjà le grand opéra, il considère ses personnages avec toute la tendresse et la clarté d’un style galant, échappées de lumière dans ce drame inexorable.

Emmanuelle Pesqué
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Re: Salieri - Les Horaces - Rousset - CD Aparté 2018

Message par DieFeen » 29 sept. 2018, 22:00

J'ai acquis cet enregistrement la semaine dernière ; je l'ai écouté à six reprises depuis.
Si je me réjouis de la publication d'une œuvre supplémentaire de Salieri, il ne faut pas se mentir : son oubli durant plus de deux siècles ne s'explique pas seulement par les cabales successives inhérentes à la création de Les Horaces...
L'ouvrage n'est pas exactement original ou, pour l'écrire autrement, rien ne le distingue -à mes oreilles- d'un Gluck musicalement très moyen. Je ne me suis pas ennuyé, mais il ne m'en reste pas grand chose a posteriori.
Sans évoquer le libretto dont Benoît Dratwicki nous énumère toutes les faiblesses dans le livret d'accompagnement, on est quand même très loin de la puissance dramatique de Les Danaîdes voire de l'inventivité de son Falstaff.
Merci Rousset pour la résurrection. Point.

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