Rameau - Pygmalion - Rousset (CD Aparté, 2017)

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EdeB
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Rameau - Pygmalion - Rousset (CD Aparté, 2017)

Message par EdeB » 17 sept. 2017, 20:20

Rameau – Pygmalion

Pygmalion. Acte de Ballet (1748)
Les Fêtes de Polymnie. Suite d’orchestre (174)

Cyrille Dubois – Pygmalion
Marie-Claude Chappuis – Céphise
Céline Scheen – La Statue
Eugénie Warnier – L’Amour
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset – direction musicale

CD Aparté, 2017.


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Fondé sur le livret de La Sculpture, cinquième entrée du ballet Le Triomphe des arts d’Houdar de La Motte (qui fut le librettiste de Campra, Destouches, Marin Marais, etc) mis en musique par Michel de la Barre en 1700, cet acte d’opéra-ballet a été commandé à Rameau par l’Académie royale de Musique. Le sujet en est fort simple : le sculpteur Pygmalion se plaint d’être tombé amoureux de sa statue, obstinément inerte. La jalouse Céphise, éprise de Pygmalion, refuse de croire en cet amour et en soupçonne un autre, tandis que Pygmalion se lamente de son sort. Le petit dieu Amour anime la statue, laquelle s’éprend de son créateur. Elle est instruite par les Grâces qui lui montrent « les différents caractères de la danse ». Célébration finale du bonheur des deux amants et du pouvoir de l’Amour.

Créé le 27 août 1748, le succès est rapidement au rendez-vous pour cet opéra-ballet. Il sera régulièrement repris tout du long du XVIIIe siècle. Ainsi que l’énonçait Le Mercure de France pour la reprise de 1751, « on n'avait point encore vu un désir si vif, si marqué, une préférence si décidée pour les ouvrages d'un Auteur vivant, que celle que le Public a montrée dans cette circonstance pour la Musique de notre Orphée. Un moment avant que l'on commençât l'Acte de Pigmalion, la joie de toute l'assemblée s'exprima d'une manière très vive. L'ouverture ranima ces démonstrations, & chacun des morceaux de cet ouvrage saillant fut applaudi universellement avec une espèce de transport. »

Depuis la première reprise moderne parisienne, en 1913 au Théâtre des Arts, les remises au théâtre n’ont pas manqué. L’industrie du disque n’est pas non plus passée à côté d’une œuvre brève et merveilleusement adaptée à ses contraintes : tour à tour, Gustav Leonhardt (1980, avec la douce Rachel Yakar), Nicholas McGegan (1984, très oubliable), William Christie (1991, avec les merveilleux Sandrine Piau, Agnès Mellon et Howard Crook), Hervé Niquet (1992, hélas, hors sujet) en ont proposé leurs visions.

On pourrait s’étonner, au vu de cette discographie relativement abondante, de la parution d’une nouvelle gravure, n’était la réputation de Christophe Rousset qui a fait, depuis « belle l’heurette », de cet univers-là sa terre d’élection. Après en avoir enregistré l’ouverture pour L’Oiseau-Lyre en 1997, c’est l’œuvre en son entier qui nous est enfin offerte. En effet, sous les doigts de ses Talens Lyriques, ce Rameau sonne comme une évidence, avec un naturel qui ne dissimule pourtant pas ce qu’il doit à l’art raffiné et fougueux de son chef et fondateur : la déclaration en guise de manifeste du compositeur, « Cacher l’art par l’art même », n’a jamais semblé couler autant de source.

Pour être de dimension réduite, Pygmalion n’en est pas moins une œuvre qui sollicite ses interprètes. De par sa brièveté même, aucune place n’est laissée à l’erreur, que ce soit dans la perception de sa savante architecture que par son expressivité ramassée, remarquable miniature d’un art à son apogée : les Talens Lyriques allient en un oxymore jubilatoire velours et sulfure, joignant la grâce au mystère de la transmutation extraordinaire de la statue en femme, et la tendresse ardente de ces étonnants amants à l’allégresse finale. Cette beauté sonore hédoniste ne se mire pourtant pas en son propre miroir, mais fuse au service d’un discours si intériorisé que sa verdeur éclate au milieu de ses détours attendus. L’orchestre est bien au centre des préoccupations de ce fabuleux orchestrateur qu’est Rameau, et l’ensemble en fait une magistrale démonstration : Les Fêtes de Polymnie, goûteuse suite d’orchestre datant de 1745, renforce cette leçon. La maîtrise absolue de cet entrelacement d’affects amoureux et des mouvements de danse qui lui font suite (chaconne, menuets, passepieds, etc…) allient force et élégance, geste ample et nerveux, et exquise ivresse.

Un quatuor de solistes rompus à la déclamation ramiste, ainsi qu’aux élans, vertiges et disjonctions du compositeur, ajoute au plaisir de cet acte trop bref. Cyrille Dubois, Pygmalion élégant et ductile, fait montre d’une virtuosité délectable autant dans la déploration de son « Fatal amour » que dans un « Règne, Amour… » extatique et nous fait monter aux nues avec lui, sans jamais sacrifier la clarté du discours et des affects. Mordante sans être virulente, Marie-Claude Chappuis est une Céphise équilibrée qui fait compatir à son amour non payé de retour. Céline Scheen, minérale Statue, distille sur son marbre premier des veinures qui se teintent peu à peu d’un sang bouillant, et d’une fraîcheur étonnée. Quant à Eugénie Warnier, son délicieux Amour est un dieu (déesse) ex machina dont on ne peut que déplorer la trop rapide intervention, si les conséquences en sont délectables. Comme les solistes, le chœur Arnold Schoenberg se distingue par une diction impeccable et un grand engagement.

Un ajout nécessaire à votre discothèque ramiste, et une entrée tout aussi savoureuse pour ceux qui hésitaient jusqu’à présent à aborder l’œuvre du grand maître de la tragédie lyrique.

Emmanuelle Pesqué
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Re: Rameau - Pygmalion - Rousset (CD Aparté, 2017)

Message par DieFeen » 17 sept. 2017, 21:37

Merci bien : les critiques se suivent et tu me ruines ;-)

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EdeB
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Re: Rameau - Pygmalion - Rousset (CD Aparté, 2017)

Message par EdeB » 18 sept. 2017, 13:32

DieFeen a écrit :
17 sept. 2017, 21:37
Merci bien : les critiques se suivent et tu me ruines ;-)
Même pas honte ! :angel_not:
Si tu veux finir en totale banqueroute ramiste, je te conseille vivement le sublissime Zais des mêmes chez le même éditeur. CR sur http://odb-opera.com/viewtopic.php?f=4& ... is#p260901

Sans oublier, en DVD, leurs fantastiques Indes Galantes, Zoroastre, et Castor et Pollux... (pour aller plus vite, tous les Rameau de Rousset sont époustouflants.)
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