Philidor - Le Soldat Magicien - Les Monts du Reuil - CD Les Belles Ecouteuses, 2017

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EdeB
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Philidor - Le Soldat Magicien - Les Monts du Reuil - CD Les Belles Ecouteuses, 2017

Message par EdeB » 11 juin 2017, 16:06

François-André Danican Philidor – Le Soldat magicien (1760)
Opéra-comique, en un acte, en prose, mêlés d’ariettes et de vaudevilles, sur un livret de Louis Anseaume

Emmanuel Clerc – harmonisation des vaudevilles

Julien Fanthou – Le soldat magicien
Anne-Marie Beaudette – Crispin
Guillaume Gutierrez – M. Argant
Hadhoum Tunc – Mme Argant
Cécil Gallois – Le procureur Blondineau
Gilles Richard – Le traiteur

Les Monts du Reuil
Violons – Patricia Bonefoy et Valérie Robert
Alto – Bénédicte Perne
Violoncelle – Pauline Warnier
Traverso – Sandrine Geoffroy
Hautbois – Jon Garcia et Francesco Intrieri
Clavecin – Hélène Clerc-Murgier
Pauline Warnier et Hélène Clerc-Murgier – direction musicale

CD Les Belles Ecouteuses, 2017.


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A déguster sans modération...

Créé le 14 août 1760 à l’Opéra-Comique de la Foire Saint-Laurent, ce charmant opéra comique mêlé d’ariettes et de vaudevilles, est composé par Philidor l’année même de son mariage avec Angélique Richer, ce qui ne manque pas d’ironie puisque le nœud du récit est la mésentente conjugale entre Monsieur et Madame Argant, auxquels un « soldat magicien » affamé apportera une aide malicieuse…

L’intrigue du livret d’Anseaume repose sur un vieux canevas des tréteaux : en 1691, Raymond Poisson présenta Les Faux divertissements, sur le thème du soldat logé chez l’habitant grâce à un billet de logement. A son tour, Florent Carton dit Dancourt présenta Le Bon Soldat en 1718. A leur suite, Louis Anseaume reprend ce thème, ce qui est d’ailleurs relevé par la critique. Par la suite, Charles Nuitter et Etienne Tréfeu s’emparèrent du thème pour leurs Soldat magicien mis en musique par Offenbach en 1864, preuve que cette intrigue n’avait pas perdu de son piquant.

Le récit du galant régalé par l’épouse en l’absence du mari, de la découverte du souper dissimulé en hâte, puis de l’amant caché, trouve ses racines dans un fabliau médiéval, Le pauvre Clerc. Ce vieux fonds de récit populaire est ici recroisé avec celui du soldat hébergé de force par la population, et des perturbations (bien plus graves, dans la réalité) qui s’ensuivaient pour ceux obligés de supporter ces hôtes forcés… Dans la version actualisée, l’amant qui était un curé dans la première version, devient un Procureur. Cette même transformation aura également lieu dans un opéra anglais, No Song, No Supper (1790) de Stephen Storace, créé par sa sœur Ann Selina (Nancy), qui fut également la première Susanna de Mozart.

Le Mercure de France annonçait que « les paroles sont, dit-on, d’un jeune homme de condition, qui aime les Lettres, & les cultive. Legrand, Auteur du Bon Soldat, & l’Auteur du Soldat Magicien, ont puisé leur Sujet dans la même source (les Contes du Sr d’Ouville). Ainsi le reproche de Plagiat, qu’on voudroit faire au nouvel Auteur, tomberoit de lui-même. Le vrai plagiaire, est celui qui méconnoit, qui déguise, ou qui détourne les sources où il puise. La Musique est du Sr Philidor […] : c’est tout dire. »

Pour sa part, un compte rendu bien trop sévère de L’Avant Coureur du 25 août 1760 affirme que « La musique est très bien faite & très-agréable, digne enfin de l’auteur de celle de Blaise le Savetier. Nous observerons seulement que M. Philidor etoit assez riche de son propre fonds, pour ne pas copier les autres. Par exemple, on lui reproche, avec raison, d’avoir fait dans le Soldat Magicien, une ariette de la poule & du canon, qui n’est qu’une mauvaise copie de celle que chante Mlle Favart dans la Soirée des Boulevards. [...] Au reste, on a admiré l’ariette du canon, qui chantée plus vîte & avec plus de goût, pourroit faire un effet encore plus piquant. Le quatuor de la table & celui qui termine la pièce, sont de la plus grande force. » Souhaitant que les premières scènes soient resserrées, ce qui aurait privé l’auditeur d’une succession d’airs réellement délicieux, le chroniqueur souligne qu’« Une dispute sur un coup de trictrac, ne suffit pas pour faire regarder une femme comme méchante », et conseille également au compositeur de retrancher quelques airs : « il restera encore dans son ouvrage assez de beautés pour attirer les spectateurs ».

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La séduction de cet ouvrage pétillant n’a pas pris une ride. L’intrigue caracole prestement, tout en conservant tout du long beaucoup d’élégance et de suavité dans sa mise en musique. Si le librettiste prend son temps pour camper les principaux personnages, en une suite d’airs qui éclairent tant leur caractère que leur situation, cela donne l’occasion à Philidor de plonger dans leur cœur, avec une naïve sophistication. Aucun temps mort ne ralentit l’action. Cette mécanique impitoyable empile les mensonges successifs des protagonistes avec beaucoup de sel, condiment relevé par une équipe à l’enthousiasme communicatif. Il faut souligner l’aisance des chanteurs qui servent les récitatifs avec beaucoup de saveur.

Notons que certains timbres, non retrouvés, sont simplement récités par les protagonistes. (Pourtant n’aurait-on pas pu utiliser la parodie de « Sur le Pont d’Avignon » encore bien connu ?) Toutefois, l’abondante moisson d’airs et d’ensembles (duo de séduction qui fait roucouler d’aise la « maumariée », quatuor du souper justement signalé par la critique d’époque, quintette hilarant durant lequel le traiteur dévide impassiblement sa note, ou réjouissant quatuor final scellant la réconciliation des époux) a de quoi satisfaire toutes les oreilles, par son allant sophistiqué.

Cette fable conjugale se déroule, en effet, sur un rythme virevoltant. Après une ouverture enlevée, on entre dans le vif du sujet avec le couple Argant qui joue au trictrac, devenu ici allégorie de la mésentente du couple. Ne manquent au récit, ni les récriminations du mari dépité contre une épouse « dragon » (l’énergique « O femmes traitresses », grommelé avec gourmandise par Guillaume Gutierrez, parfait en époux berné) ; ni les leçons d’un valet philosophe de comptoir avant la lettre (Anne-Marie Labourdette s’en donne à cœur joie dans un air à imitation animalière « La poulette / D’abord les rejette / Puis elle y prend goût ; / Elle plante là son hibou, / Et s’en va chanter cocodette, / Tandis qu’il fait seul le coucou ») à la fidélité vénale (Crispin compte fébrilement l’argent donné par Argant pour surveiller son épouse) ; ni l’épouse désappointée (Hadhoum Tunc, dont le chant plaintif se colore de coquetterie aguicheuse) ; ni même l’homme de loi amoureux, lequel assaisonne son discours de termes juridiques qui créent l’effet comique (Cécil Gallois assène ses soupirs galants avec la componction de rigueur).

Depuis Le Barbier de Séville de Beaumarchais (1775), on connaît davantage le ressort comique que l’irruption d’un soldat muni d’un « billet » de logement apporte dans une maisonnée. Le soldat d’Anseaume s’inscrit bien dans cette typologie. S’il témoigne dans son air d’entrée vantant les plaisirs de la vie militaire d’une solennité initiale, cette dernière se substitue rapidement à une préoccupation des bonheurs terrestres (soubrette aimable et cuisine accessible) bien prosaïque. Julien Fanthou glisse d’un registre à un autre avec une maestria réjouissante, qui prépare l’auditeur à la magistrale invocation culinaire à laquelle se livre le soldat affamé, nécromancien parodique des ombres des repas à venir « O vous qui présidez aux repas des gourmands… », en imitation des introductions des grandes scènes infernales des tragédies lyriques. L’astucieux dénouera les fils de l’intrigue, en profitant pour se remplir la panse et… faire le bonheur de ses hôtes.

Emportée par l’ironie virevoltante des violons, soulignée par des hautbois tendres ou gouailleurs, cette fable sied merveilleusement à des Monts du Reuil qui retrouvent le répertoire qu’ils servent avec tant de ferveur et de soin. Grâce leur en soient rendues ! Leur vitalité entraînante, leur palette chatoyante, leur raffinement et leur humour bienveillant font sortir de leur cachette, non seulement le diable déguisé en homme de loi, mais un souper en musique goûteux dont les arômes font encore saliver.

Emmanuelle Pesqué

Ce disque est disponible sur le site des Belles Ecouteuses (CD ou téléchargement), ainsi que sur Qobuz et Deezer.

Plaquette de présentation de l’opéra sur le site des Monts du Reuil.

Le fac-similé du livret est téléchargeable sur Gallica.
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