Farinelli - A Portrait (Hallenberg/Rousset) - CD Aparte 2016

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EdeB
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Farinelli - A Portrait (Hallenberg/Rousset) - CD Aparte 2016

Message par EdeB » 25 nov. 2016, 17:28

Farinelli. A Portrait – Live in Bergen

Riccardo BROSCHI (1698 - 1756)
Aria d’Arbace, « Son qual nave ch’agitata » (Artaserse (1734))
Aria de Dario, « Ombra fedele anch ‘io » (Idaspe (1730))

Geminiano GIACOMELLI (v. 1692-1740)
Aria de Farnaspe, « Già presso al termine » (Adriano in Siria (1733))

Nicola PORPORA (1686 - 1768)
Aria de Mirteo, « Si pietoso il tuo labbro » (Semiramide riconosciuta (1729))
Aria d’Acio « Alto Giove » (Polifemo (1735))

Geminiano GIACOMELLI (v. 1692-1740)
Aria de Farnaspe, « Passagier che incerto » (Adriano in Siria (1733))

Johann Adolph Hasse (1699-1783)
Ouverture de Cleofide

Leonardo LEO (1694-1744)
Arie d’Arbace, « Che legge spietata » (Catone in Utica (1729))
Arie d’Arbace, « Cervo in bosco » (Catone in Utica (1729))

Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)
Aria de Ruggero, « Sta nell’Ircana » (Alcina (1735)
Aria d’Almirena, « Lascia ch’io pianga » (Rinaldo (1711))

Nicola PORPORA (1686-1768)
Aria de Mirteo, « In braccio a mille furie[/i] » (Semiramide (1729))

Ann Hallenberg, mezzo soprano
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset, direction musicale

CD Aparte, 2016.


Image

One Farinelli, one Hallenberg, one Rousset !

Faut-il encore présenter Carlo Broschi dit Farinelli (1705-1782) ? Non, puisque la légende s’est bien vite emparée d’un artiste assez unique par son fabuleux talent, son éthique, son amitié fraternelle avec le grand Metastasio, son parcours à nul autre pareil… Légende qui s’est perpétuée de nos jours, en en faisant encore l’absolu des castrats. (Pour ceux qui en ignoreraient encore tout, la notice signée Laura Pietrantoni est une introduction passionnante.)

Juste avant de fêter leur quart de siècle, Les Talens Lyriques pérennisent enfin par le disque un des concerts emblématiques de leur triomphal parcours. En un retour aux sources festif, en mai 2011, pour célébrer le vingtième anniversaire de la fondation de son ensemble, Christophe Rousset abordait le versant italien du répertoire qui lui est si cher. C’est en effet en 1994 que les Talens Lyriques, aux prémices de la carrière que l’on sait, enregistraient la bande-son du film Farinelli ; il révéla au grand public la splendeur de pages alors oubliées, malgré son scénario historiquement peu rigoureux et une fusion assez insensée entre les voix de Derek Lee Ragin et d’Eva Mallas-Godlewska, ce dont témoigne encore un bonus du DVD. Ce montage littéralement monstrueux de l’Ircam laissait alors supposer à l’honnête homme cultivé que ce répertoire était désormais inchantable pour tout gosier humain...

Par une démonstration admirable de naturel, Ann Hallenberg, compagne de route de très longue date de l’ensemble, détrompe ici les derniers sceptiques. Et combien ! Son art porté à sa quintessence, époustouflant tant par sa virtuosité protéiforme que par sa complicité avec Christophe Rousset, prouve qu’elle est l’une des très rares interprètes actuelles à pouvoir soutenir sans rougir la concurrence de ces voix désormais rêvées. Et que la splendeur de ces pages de Broschi, Giacomelli, Porpora, Hasse, Leo et même Haendel (que Farinelli ne chanta évidemment jamais, mais qui fournit des bis ici conservés) est mille fois mieux servie par des interprètes féminines dont les couleurs rehaussent l’éclat.

Aussi rutilante dans l’héroïsme de ses vocalises que profondément émouvante dans les airs élégiaques ou tendres, la mezzo-soprano suédoise flamboie de tous ses appâts, mais ce n’est paradoxalement pas dans le feu d’artifice étincelant de toute sa pyrotechnie que la chanteuse subjugue le plus, bien qu’elle y soit incomparable. C’est dans ce chant plus intime, où cantabile et nuances s’allient pour empoigner l’âme et conduisent au vertige, qu’elle sidère. L’intelligence, la subtilité et l’empathie du discours triomphent des chausse-trapes ménagées par les compositeurs ; la beauté de son timbre et son éloquente chaleur ensorcellent.

Tout comme son illustre aîné, qui touchait tout autant par son « beau chant » qu’il sidérait par un canto di maniera distillé avec un art incomparable, Ann Hallenberg transmute ces pages parfois tristement rebattues (son « Lascia ch'io pianga » est susurré comme au creux de l’oreille) avec une messa di voce sidérante, une palette irisée, un trille que l’on pourrait presque qualifier de « du diable », des pianissimi souverains, des appogiatures délicatement festonnées… Tout est mis en œuvre pour faire de ces airs des moments suspendus où les affects du personnage prennent le dessus sur le brio pur (comme pour un envoûtant « Si pietoso il tuo labro »). Elle empoigne ces pages avec un charisme qui enchante, une joie de chanter communicative et une incarnation qui ne ressemble à nul autre.

Cet art trouve son supplément d’âme dans le dais chamarré déployé par des Talens Lyriques intenses. Séducteurs et liquoreux, ils laissent se distiller le silence de ces âmes meurtries, exaltent les angoisses de ces princes inquiets et enchâssent leurs jubilations dans un déploiement qui happe et captive l’imagination, enivre les sens et apaise la nostalgie vague que nous éprouvons devant ces paysages devenus lointains, dont l’horizon a coutume de s’estomper à mesure qu’on croit s’en rapprocher.

Emmanuelle Pesqué
Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles. - M. Leiris
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