Mozart – Quatuors avec pianoforte (CD Muso, 2016)

L'actu; découvertes, sorties, critiques et conseils !
Répondre
Avatar du membre
EdeB
Dossiers ODB
Messages : 3253
Enregistré le : 08 mars 2003, 00:00
Localisation : Ubi est JdeB ...

Mozart – Quatuors avec pianoforte (CD Muso, 2016)

Message par EdeB » 08 mars 2016, 10:52

Mozart – Quatuors avec pianoforte

Quatuor avec piano n°1 en sol mineur, KV 478
(Allegro – Andante – Rondo (Allegro))

Quatuor avec piano n°2 en mi bémol majeur, KV 493
(Allegro – Larghetto – Allegretto)

Daniel Isoir – pianoforte
La Petite Symphonie
Stéphanie Paulet – violon
Diane Chemla – alto
Mathurin Matharel – violoncelle

CD Muso, 2016


Contemporains de sa grande série de concertos pour clavier, les quatuors avec piano, datés respectivement du 16 octobre 1785 (date notée sur le manuscrit autographe) et du 3 juin 1786 (apparaissant dans la liste de ses œuvres réalisé par Mozart), ces deux quatuors avaient été demandés au compositeur par son ami Franz Anton Hoffmeister, éditeur de musique et compositeur viennois. Georg von Nissen, dans sa biographie de Mozart, révèle qu’il lui avait originellement commandé trois quatuors pour sa série de musique de chambre. Il n’en publia finalement qu’un seul, le KV. 478, à la suite des retours négatifs des premiers acheteurs qui le trouvaient trop difficile à jouer. Bien que ne publiant pas les deux autres, Hoffmeister aurait cependant abandonné à Mozart le salaire déjà versé. Le second quatuor fut publié par la firme concurrente Artaria, en décembre 1787.

Le Journal des Luxus und der Moden, publié à Weimar en juin 1788, souligna les difficultés de l’exécution de l’un ou de l’autre de ces pièces par des amateur : « [ce quatuor] lorsqu’il est joué, a besoin de la plus grande précision dans ses quatre parties, mais même lorsqu’il est bien interprété, à ce qu’il paraît, il ne peut et il ne doit faire plaisir qu’aux connaisseurs de musica da camera. […] Beaucoup d’autres pièces gardent leur tournure même quand elles sont jouées médiocrement ; mais on peut à peine supporter d’entendre cette production de Mozart quand elle tombe dans les mains d’amateurs médiocres et est jouée avec désinvolture. […] » (Otto Eric Deutsch, Mozart, a documentary biography, Standford, 1965, p. 318) Ce jugement péremptoire ne faisait que confirmer à quel point la musique de Mozart était ardue, bien trop difficile, pour certains de ses contemporains. Ce qui était déjà admis pour sa musique vocale… (Joseph II lui-même n’écrivait-il pas en 1788 « La musique de Mozard est bien trop difficile pour le chant. » ?)

Aucun n’« amateurisme » n’est bien évidemment à craindre quand on saisit ce nouvel enregistrement ! Bien au contraire. Se replongeant dans l’intimité chaleureuse qui faisait le sel de leur interprétation des concertos pour pianoforte de Mozart (en 2012, l’ensemble avait enregistré de remarquables n°13 et 27 en formation de chambre), Daniel Isoir et ses complices Stéphanie Paulet, Diane Chemla et Mathurin Matharel rééditent leur coup de maître avec cet enregistrement des deux opus mozartiens qui fondèrent et renouvelèrent le genre. Bien que Johann Schobert, un des maîtres qu’avait beaucoup étudié Mozart enfant, se soit illustré dans cette configuration avec deux quatuors avec clavecin, le clavier prédominait encore sur ses acolytes. Mais, comme il le fit pour de nombreuses autres, Mozart réinventa la forme, en renversant l’ancienne hégémonie du clavier sur les cordes. Ce dialogue fécond voulu par le compositeur s’incarne ici avec ferveur et pudeur : il est bien au centre de cet enregistrement remarquable où le pianoforte (une très belle copie de Johann Andreas Stein) confère à ces quatuors un éclat coruscant qui tranche avec délice sur la chaleur des cordes. Ce Mozart-là est d’un naturel qui séduit et d’un équilibre qui enchante, servi par des instruments idéaux pour ces partitions. Leurs chuchotements, leurs confidences et leurs emportements glissent vers nous comme un secret enfin partagés, amenés par la clarté, l’énergie, le modelé ferme et délicat et la sensibilité en clair-obscur d’une Petite Symphonie attentive aux textures, couleurs et dynamique.

Que voilà un disque nécessaire ! Aux mozartiens, qui seront heureux de redécouvrir certaines des pages les plus poignantes et sereines du maître de Salzbourg. Et aux « grandes oreilles », comme les appelait le compositeur ; amateurs qui n’ont peut-être pas eu l’opportunité de découvrir ces paysages intérieurs où la lumière et l’ombre se pourchassent. Les voici à nouveau devant nous, en leur éternel printemps.

Emmanuelle Pesqué
Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles. - M. Leiris
Mon blog, CMSDT-Spectacles Ch'io mi scordi di te : http://cmsdt-spectacles.blogspot.fr/
Mon blog consacré à Nancy Storace : http://annselinanancystorace.blogspot.fr/

Avatar du membre
Piero1809
Baryton
Baryton
Messages : 1085
Enregistré le : 14 avr. 2009, 23:00
Localisation : Strasbourg
Contact :

Re: Mozart – Quatuors avec pianoforte (CD Muso, 2016)

Message par Piero1809 » 08 mars 2016, 16:11

Merci Emmanuelle pour ce compte rendu très intéressant.
J'avais découvert ces deux oeuvres avec Clifford Curzon et les membres de l'Octuor de Vienne, un disque Decca (ça commence à dater). Je n'ai pas arrêté ensuite de les écouter.
Le quatuor en sol mineur K 478 fait partie des plus grandes oeuvres de Mozart. Sans minimiser l'apport de Schobert ou Carl Philipp Emmanuel Bach qui avec des oeuvres pour la même formation restent encore dans la sphère baroque, on peut dire que ce quatuor inaugure un genre musical nouveau qui aura une nombreuse postérité chez les romantiques avec Schumann, Brahms et plus tard Fauré. Quand on écoute le sensationnel développement du premier mouvement ou bien la fabuleuse coda de ce même mouvement, on y trouve des audaces que le salzbourgeois ne renouvellera plus par la suite. Ce n'est pas la difficulté technique qui est ici en cause, la partie de pianoforte est, question difficulté, bien en deçà de celles que Muzio Clementi écrivait à cette époque, l'écriture des cordes est basique quand on la compare aux parties de violon chez Joseph Haydn qui sont infiniment plus spectaculaires. Comme vous le dites, ce sont plutôt les harmonies qui ont du choquer les premiers exécutants et (ou) auditeurs, les mêmes qui ont lacéré les parties instrumentales des quatuors dédiés à Haydn ou qui ont dénigré Don Giovanni.
En tous cas c'est passionnant de disposer maintenant d'une version de ces deux quatuors avec un pianoforte et probablement des instruments possédant des cordes en boyau.
Quid du vibrato? Le jeu sans vibrato est tellement plus propre, plus décent et finalement plus harmonieux.

Je vais sans tarder écouter cette nouvelle version!

Avatar du membre
Piero1809
Baryton
Baryton
Messages : 1085
Enregistré le : 14 avr. 2009, 23:00
Localisation : Strasbourg
Contact :

Re: Mozart – Quatuors avec pianoforte (CD Muso, 2016)

Message par Piero1809 » 08 mars 2016, 17:51

J'ai écouté quelques extraits en attendant une audition intégrale.
C'est très beau en effet. Les musiciens jouent avec une remarquable technique et ce qu'il faut de sentiment. Le vibrato est très discret et utilisé plutôt comme un ornement ce que j'apprécie beaucoup.
Superbe pianoforte qui est idéalement équilibré par le trio à cordes.

Avatar du membre
EdeB
Dossiers ODB
Messages : 3253
Enregistré le : 08 mars 2003, 00:00
Localisation : Ubi est JdeB ...

Re: Mozart – Quatuors avec pianoforte (CD Muso, 2016)

Message par EdeB » 08 mars 2016, 20:54

Piero1809 a écrit :J'ai écouté quelques extraits en attendant une audition intégrale.
C'est très beau en effet. Les musiciens jouent avec une remarquable technique et ce qu'il faut de sentiment. Le vibrato est très discret et utilisé plutôt comme un ornement ce que j'apprécie beaucoup.
Superbe pianoforte qui est idéalement équilibré par le trio à cordes.
Je suis ravie que vous aimiez... C'est effectivement très beau et remarquablement équilibré. Un Mozart pour île déserte.
Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles. - M. Leiris
Mon blog, CMSDT-Spectacles Ch'io mi scordi di te : http://cmsdt-spectacles.blogspot.fr/
Mon blog consacré à Nancy Storace : http://annselinanancystorace.blogspot.fr/

Avatar du membre
Piero1809
Baryton
Baryton
Messages : 1085
Enregistré le : 14 avr. 2009, 23:00
Localisation : Strasbourg
Contact :

Re: Mozart – Quatuors avec pianoforte (CD Muso, 2016)

Message par Piero1809 » 09 mars 2016, 07:57

Merci Emmanuelle.
Mon intervention sur le vibrato était péremptoire et mérite quelques précisions.
Elle concerne évidemment la période baroque et dans une large mesure le classicisme. Leopold Mozart dans son traité recommande l'utilisation ponctuelle et parcimonieuse du vibrato.
Le vibrato systématique, pratiqué actuellement par une majorité d'instrumentistes, semble être une invention de Heifetz et Thibaud. Elle est donc d'origine récente, comme les cordes métalliques d'ailleurs.
Pas question toutefois de faire des jugements de valeur et renier un demi-siècle d'enregistrements qui ont ravi ma jeunesse. Les suites de Bach par Adolf Busch ou bien les concertos de Mozart par Robert Casadesus et l'orchestre du Conservatoire, c'était quelque chose!

Maintenant je préfère la musique non vibrée, les cordes en boyau, les cors et les trompettes naturels etc... pour la musique comprise entre 1600 et 1750, pour Haydn et Mozart et peut-être les romantiques jusqu'à 1850 environ.

Répondre