Adalbéron a écrit : ↑21 août 2017, 15:41
Je suis loin de connaître toute la discographie de l'œuvre, mais je préfère indifféremment écouter deux versions : celle de Karajan et celle de Sinopoli, qu'on pourrait toutes les deux rapprocher pour leur direction et leur orchestre superlatifs.
La direction de Karajan me semble être une synthèse admirable entre hédonisme sonore et structure dramatique, servie par une prise de son très moite, qui donne à l'ensemble toute sa charge décadente. Behrens est extraordinaire - c'est peu dire -, vipère grimée en ange aux inflexions d'une sensualité exaspérée, et surtout agile, fragile, ductile, funambulesque. Je ne crois pas qu'on puisse faire mieux, même si Lubitsch fut aussi formidable (mais avec quel entourage malheureusement !...). Van Dam est étonnement assez placide (l'allemand ?), mais la voix est belle, la musicalité (comme toujours) remarquable et cette attitude marmoréenne convient finalement bien à la figure du prophète. Baltsa est à tomber à la renverse, j'en ai des palpitations rien que d'y penser et je désespère toujours que le rôle soit si court. Böhm en Hérode est bon, comme Ochman en Narraboth : rien d'extraordinaire mais ils servent l'ensemble et participent à la réussite de cet enregistrement.
Sinopoli, c'est tout de même quelque chose de très différent : c'est plus fantasque, plus opulent, plus "Jugendstil" aussi, plus doré. Ce qui se passe à l'orchestre est de l'ordre de la pure extase sonore, mais la musique de Strauss n'en perd pas pour autant sa dimension dramatique. Une vraie orgie de couleurs, de formes, de timbres. Studer est miraculeuse, la plus angelique de toutes, celle qui dit le mieux le texte, et elle n'est pas aussi placide que ce qu'on lit partout. Elle est peut-être plus pure, plus chaste que d'autres, mais Salomé est une jeune vierge, et on peut imaginer le personnage autrement que comme une vicieuse accomplie (j'aurais presque envie de dire que c'est toujours comme ça qu'il faudrait l'aborder, mais il y a des choses intéressantes dans d'autres lectures). Elle n'aurait sans doute pas pu l'aborder à la scène, mais c'est pour moi un de ses plus grands rôles et une des meilleures Salomé qui soient. Terfel, quant à lui, est un Jean sauvage, très beau (c'est dur quand même de donner une âme à ce personnage). J'adore le Hérode histrionique de Hiestermann, névrosé jusqu'au bout des doigts. Très bonne Herodias de Rysanek. Le Narraboth est dans mes souvenirs un peu plus faible que le reste de la distribution, mais c'est tout à fait bien.