Portrait Wayne Mac Gregor par le Bayerisches Staatsballett de Munich

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Luc ROGER
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Portrait Wayne Mac Gregor par le Bayerisches Staatsballett de Munich

Message par Luc ROGER » 13 juin 2018, 16:34

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Sunyata: Jonah Cook, Ksenia Ryzhkova

Le 14 avril 2018, le Ballet d'Etat de Bavière présentait en première allemande trois pièces de ballet récentes du chorégraphe britannique Wayne Mac Gregor, dont Sunyata, en première mondiale. Les deux autres, Kairos et Borderlands avaient été créées respectivement par le Ballet de Zurich à Zurich en 2014 et par le San Francisco Ballet en 2013 à la War Memorial Opera House. C'est la première fois qu'on a l'occasion d'apprécier le travail de ce chorégraphe au Théâtre national de Munich, avec trois ballets aux tonalités très différentes: Kairos est considéré comme un morceau plus lyrique et plus harmonieux, Borderlands nous frappe par sa puissance, ses sons et son atmosphère électriques, Sunyata, au centre de la soirée, organise comme un dialogue entre les deux autres productions, offrant un moment de calme et de vide.

Le site du Bayerisches Staatsballett présente Wayne Mac Gregor comme un expérimentateur qu'anime une immense curiosité, qui l'amène à intégrer toutes les avancées technologiques dans ses créations dans le but de montrer comment elles transforment notre vie, le monde et, surtout, l'art lui-même.

Né en 1970 à Stockport, au Royaume-Uni, McGregor est tombé amoureux de la danse très tôt, inspiré par des films comme Grease et Saturday Night Fever. Il a ensuite étudié la chorégraphie et la sémiotique, poursuivant ses études à l'école José Limon de New York. En 1992, il fonde la Random Dance Company, qui devient rapidement un centre de recherche en esthétique où se mêlent diverses sources d'inspiration, celles de l'art, de la musique, de la philosophie et de la recherche scientifique, pour former un ensemble interdisciplinaire.

Depuis 2006 Wayne Mac Gregor est chorégraphe en résidence au Royal Ballet de Londres, une maison pour laquelle il a créé une quinzaine d'œuvres. Son œuvre comprend également des productions pour les plus grandes compagnies du monde telles que le Ballet de l'Opéra de Paris, le Ballet de New York, le Ballet du Théâtre Bolchoï de Moscou et le Ballet de San Francisco.

Les oeuvres de Wayne Mac Gregor semblent fécondées par une profonde réflexion philosophique sur l'émergence du réel dans le monde, sur le moment de la création et la rencontre de différentes formes d'expression artistique au sein même de cette création, comme si l'oeuvre d'art inscrivait dans l'espace scénique une réponse à la question métaphysique "Pourquoi y a-t-il un oeuvre d'art plutôt que rien?". La genèse des ballets et leurs titres paraissent fort conceptuels, mais leur réalisation, esthétiquement superbe, ouvre le champ au vécu et à l'interprétation personnels. Si la réflexion est antérieure au ballet, son produit n'appartient cependant pas au discours, à la narration, mais à l'expression artistique confluente de l'expression corporelle, de la danse, de la musique et de la lumière, et, point essentiel, à la réception par le public.

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Kairos: Yonah Acosta, Alejandro Virelles Gonzalez,
Sergio Navarro, Jonah Cook

Par son titre, Kairos nous fournit une clé de lecture possible du ballet. Ce terme grec désigne un aspect particulier du temps, celui de "l'instant d'inflexion", le temps de l'occasion opportune, un moment de basculement qu'il convient de saisir pour passer à l'action, une porte qu'il s'agit de franchir, ou non, et qui ne s'ouvre que dans un instantané. Le kairos relève du "maintenant ou jamais", et on saisit bien combien ce concept peut se traduire dans l'expression corporelle dansée par des basculements, des nuances, des corrections minimes dans la gestuelle. Le kairos, c'est aussi le moment où un artiste doit s’arrêter et laisser son œuvre vivre sa propre vie et celui où le public peut saisir la balle au bond. Le ballet de Wayne Mac Gregor est dansé sur la musique éminemment temporelle des Quatre saisons de Vivaldi revisitée par Max Richter dans son Vivaldi Recomposed, dans laquelle le compositeur apporte une lecture renouvelée de la rythmique de la partition. Les décors sont d'Idris Kahn qui fait débuter le ballet derrière une toile d'avant-scène présentant une partition derrière laquelle apparaissent des danseurs virevoltant comme des lucioles dans les extraordinaires éclairages de Lucy Carter.

Sunyata est un terme sanscrit qui traduit le concept bouddhiste de la vacuité, l'absence d'"être en soi", l'inexistence de l'essence des choses ou des êtres. La vacuité des choses ou des êtres ne signifie pas qu'ils sont vides, mais que tout est interdépendant et que, partant, rien n'a d'existence propre. La chorégraphie de Wayne Mac Gregor prend sa source dans cette interdépendance, dont il est aisé de percevoir les effets dans les arts de la scène tant sont nombreux les éléments qui constituent un spectacle, et se nourrit également de la musique composée par le finnois Kaija Saarahio au départ de six poèmes du poète lyrique et mystique Djalâl ad-Dîn Rûmî , qui apparaissent dans la musique en persan, avec des effets de distorsion électronique. Le grand cercle rouge de la vacuité, élément essentiel du décor, est entouré de la représentation d'une cour de nobles persans telle que la représentent la peinture et les miniatures de ce pays. Les parallèles entre la mystique soufie et le bouddhisme sont bien établis et la chorégraphie s'en fait l'écho.

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Borderlands: Alexey Popov, Ksenia Ryzhkova

Borderlands enfin fut la première commande qui passa le San Francisco Ballet à Wayne Mac Gregor. Ici à nouveau une idée précise se trouve à l'origine du ballet, provenant de la contemplation des peintures de l'artiste Josef Albers, un allemand qui fit partie du Bauhaus pour émigrer en 1933 vers les Etats-Unis. Pour préparer la chorégraphie, McGregor et ses collaborateurs se sont immergés dans les archives de la Fondation Josef et Anni Albers au Connecticut. Le ballet, ses décors et les extraordinaires lumières dans lesquelles ils baignent sont inspirés par les peintures géométriques austères de l'artiste germano-américain qui elles-mêmes reflètent les recherches d'Albers sur l'interaction des couleurs. Le ballet dansé sur la musique de Joel Cadbury et Paul Stoney approche le travail du peintre et invite le public à l'expérimenter. C'est confondant de justesse et de beauté, avec une mention toute particulière pour le travail de l'éclairage de Lucy Carter, les lumières ont une telle consistance qu'elles en deviennent palpables et captivent un public fasciné.

Les photos sont de Wilfried Hösl.

Prochaines représentations le 23 juin et le 10 juillet.
Live-stream gratuit le 23 juin via la STAATSOPER.TV.

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