Les Cahiers de Nijinski (Montpellier 2008)

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JdeB
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Les Cahiers de Nijinski (Montpellier 2008)

Message par JdeB » 08 août 2008, 11:24

LES CAHIERS DE NIJINSKI

Vaslav Nijinski, Arthur IGUAL
Emmanuel CHRISTIEN, piano
Clementine Pointud, Steve PAULET, danse


Conception et mise en scène Jean-Paul SCARPITTA

Igor Stravinski
Petrouchka, extrait : La Danse russe
Nikolai Rimski-Korsakov
Shéhérazade, extrait
Carl Maria von Weber
L’invitation à la valse, extrait
Claude Debussy
Prélude à l’après-midi d’un faune
Igor Stravinski
Le Sacre du printemps, extraits : Danse des adolescentes, Danse sacrale

MONTPELLIER, COUR DS URSULIES, JEUDI 17 JUILLET 2008 - 22H


Je suis Nijinski, un homme comme les autres, naguère un artiste fier de montrer son talent, aujourd’hui un malade pauvre, malheureux, qui se désespère de ne pouvoir aider son prochain, qui supplie qu’on l’aide à porter sa lourde charge d’amour. Je suis Nijinski qui meurt quand il n’est pas aimé.
Je suis un fou qui aime les gens. Ma folie, c'est l'amour de l'humanité
.


Le Festival de Radio-France ménageait, en cette soirée du 17 juillet, un fort contraste entre un King Arthur hilarant mais parasité par une avalanche de gags et cette version scénique épurée et élégante des Cahiers de Nijinski offerte (au sens strict) dans la cour des Ursulines. Signalons que le nombre des manifestations gratuites proposées par ce festival est très important et ne le cède que devant celui des Flâneries musicales de Reims.

Jean-Paul Scarpitta a toujours nourri la plus vive passion pour la danse. On sait qu’il a invité Maurice Béjart dans son festival de Sens, fondé à l’age de 19 ans, qu’il a suivi pendant des années, caméra au poing, Ghislaine Thesmar, qu’il a fait tourner dans son film Désir (1985), et réalisé un portrait de Rudolf Noureev pour la télévision. Encore étudiant au Conservatoire supérieur d’art dramatique, Arthur Igual, avait mis en scène tout seul ces mémoires de « clarté et d’irrationalité » signés par le plus mythique des danseurs. Leur rencontre autour de ce texte captivant, après leur Flûte enchantée de début de saison, était inéluctable.

Sans atteindre au sublime vertigineux de la version hallucinée de Redjep Mitrovista, et dans une optique aussi opposée que complémentaire, ils ont réussi leur pari haut la main ce dont témoignera une captation par Mezzo.

Là où le fils spirituel de Vitez nous frôlait l’âme en passant comme un fantôme ayant vampirisé les mânes du génial créateur de l’Après-midi d’un faune (1912), Arthur Igual est, selon le mot de l’artiste lui-même, « un chien qui court, va chercher, rapporte, se remet à courir, à aller chercher, à rapporter, de nouveau court, va chercher, rapporte, inlassablement… ». Jusqu’à un épuisement du corps et des sens soulagé par beaucoup d’eau claire et une grande grappe de raisin goulûment savourée.

Il habite, de son coprs exultant et de sa voix profonde, une nuit occupée d’un piano seul, sur lequel se pose parfois une cristalline ballerine tout tutu déployé, d’une barre d’exercice et d’une reproduction, sur un immense tulle, d’un nu frontal de Nijinski dessiné par Maillol. Quelques fumigènes diaphanes à la fin, un long drapé ophélien constellé de feuilles stylisées où le danseur se love, s’enlace, s’agrippe et dérive, la cloche qui retentit à 23 heures pétantes sur les mots de « bible enluminée », magie du direct…Et toujours le son du piano clair, délicat, raffiné et tranchant d’Emmanuel Christien.

Hommage de la jeunesse talentueuse à celui qui, ayant tiré sa révérence à trente ans au seuil d’un long voyage dans la folie, en figurera toujours l’oriflamme calcinée.


PS :
"(…) on n'aurait jamais pu croire que ce petit singe aux cheveux rares, vêtu d'un pardessus à jupe, coiffé d'un chapeau en équilibre au sommet du crâne, c'était l'idole du public. Il l'était cependant, à juste titre. Tout en lui s'organisait pour paraître de loin, dans les lumières. En scène sa musculature trop grosse devenait svelte. Sa taille s'étirait (ses talons ne portant jamais par terre), ses mains devenaient le feuillage de ses gestes, et quant à sa face, elle rayonnait. Une semblable métamorphose est presque inimaginable pour ceux qui n'en ont pas été les témoins.
(…)

Je l'ai vu créer tous ses rôles. Ses morts étaient poignantes. Celle de Pétrouchka où le pantin s'humanise jusqu'à nous tirer des larmes. Celle de Schéhérazade où il tambourinait les planches comme un poisson au fond d'une barque."
Jean Cocteau in La difficulté d'être
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
Odb-opéra

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