Les Damnés de Visconti à la Comédie Française

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HELENE ADAM
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Les Damnés de Visconti à la Comédie Française

Message par HELENE ADAM » 19 déc. 2016, 10:43

Les Damnés

de Luchino Visconti, Nicola Badalucco
et Enrico Medioli (adaptation)


Mise en scène Ivo van Hove

Comédie Française, salle Richelieu.
Jusqu'au 13 janvier

Avec
Sylvia Bergé : La gouvernante et la mère de Lisa (en alternance)
Éric Génovèse : Wolf von Aschenbach
Denis Podalydès : Baron Konstantin von Essenbeck
Alexandre Pavloff : Le Commissaire et le Recteur
Guillaume Gallienne : Friedrich Bruckmann
Elsa Lepoivre : Baronne Sophie von Essenbeck
Loïc Corbery : Herbert Thallman
Adeline d'Hermy : Elisabeth Thallman
Clément Hervieu-Léger : Günther von Essenbeck
Jennifer Decker : Olga
Didier Sandre : Baron Joachim von Essenbeck
Christophe Montenez : Martin von Essenbeck



Le film de Luchino Visconti sorti en 1969 fut déjà à l'époque un véritable coup de poing pour ma génération née après la fin de Guerre mais marquée par celle-ci, par le nazisme et le fascisme et qui cherchait à comprendre comment l'Humanité avait pu ainsi perdre son humanité en plein milieu d'un XXème siècle qui se prétendait le symbole de la modernité.
Il décrivait de manière hallucinée, sans la moindre complaisance, l'évolution d'une famille de riches industriels en Allemagne dans les années 30. L'"histoire" débute par l'anniversaire du patriarche le Baron Joachim von Essenbeck alors que l'incendie du Reichstag (Parlement) commence ( le 27 février 1933), provocation du régime Nazi, complot fomenté pour faire accuser un Communiste et prendre prétexte aux débuts de l'arrestation systématique et de la déportation des opposants au régime.
Le film de Visconti s'intitulait "La caduta degli dei", mettait en scène sans trop de mystères, le rôle de la famille Krupp, industriels de la Ruhr en Allemagne qui fournit l'acier nécessaire au réarmement de l'Allemagne nazie (l'Allemagne avait été désarmée suite à sa "défaite" pendant la Première guerre Mondiale). Les références communistes, les obsessions wagnériennes et l'homosexualité de Visconti sont toutes omniprésentes dans ce film qui est sans doute, après Rocco et ses frères et le Guépard et avant "Ludwig", un de ses chefs d'oeuvre.

Ivo van Hove reste absolument fidèle au scénario et même à la mise en scène, au style des acteurs (que Visconti choisissait toujours avec un soin absolu), et à l'esprit du film. On se remémore à chaque tableau les images torturées, la beauté macabre des décors et le jeu volontairement outré et très expressionnisme allemand, des comédiens d'alors : Dirk Bogarde en Friedrich Bruckmann, Ingrid Thulin en baronne Sophie Von Essenbeck et surtout Helmut Berger en Martin Von Essenbeck.

Mais le directeur artistique du Toneelgroep d’Amsterdam qui a beaucoup d'adaptations et de mises en scène de références à son actif, fait de ces Damnés, une lecture théâtrale d'une efficacité remarquable.

Malheureusement, autant sur le plateau d'Avignon où la pièce a été créée, l'ensemble du dispositif était visible du jardin à la cour, autant, sur la petite scène de la salle Richelieu, on est un peu à l'étroit.
Dommage.

Lieu et décor unique sont un bon choix qui évite tout temps mort. Il n'y a d'ailleurs pas d'entracte et on plonge dans l'enfer des Essenbeck dès la première image sans en ressortir vraiment sur la dernière et saisissante fin.

La scène n'est occupée que par un rangée de coiffeuse d'artistes côté jardin et une rangée de cercueils blancs côté cour. Sol en plastique orange puis gris quand il faudra laver le sang de la "Nuit des longs couteaux" ( Juin 1934, les SS massacrent les SA), grande table avec couverts en argent ou pas, qui sert de table de festin pour l'anniversaire de Joachim ou de table du conseil d'administration des aciéries quand il s'agit de prendre des décisions sérieuses, ou de table pour servir la bière quand les SA inconscients du sort qui leur est réservé sont partis faire la fête à Munich.

Un dispositif de caméra dont la prise de vue en direct est projetée sur un écran blanc, permet d'élargir la scène en montrant les acteurs en gros plans alors qu'ils sont dans un coin caché de la scène ou carrément en dehors de celle-ci et de filmer de temps à autre, la salle elle-même qui s'éclaire régulièrement.
Ainsi quand la baronne cherche désespérément son fils Martin qu'elle manipule depuis le début et qui est en train de lui échapper, gagné puis enrôlé par les SS, l'actrice sort de la scène, va dans les coulisses, puis débarque à la corbeille, ressort, gagne les extérieurs, sort dans la rue et revient sur la scène, suivie fidèlement par la caméra ce qui nous permet de voir ses déambulations désespérées sur l'écran.

L'écran permet aussi la projection d'images d'archives du nazisme et d'un très beau "tableau" formé par des figurants nus puis massacrés pour la nuit des longs couteaux.

Cette scène où pendant ce temps là, l'incroyable Denis Podalydès (le Baron Konstantin von Essenbeck est un chef des SA), en uniforme kaki (les SS sont en noir pour les distinguer dans la pièce), se déshabille et nous offre une danse complète, avec chant, en compagnie de son jeune éphèbe, avant le massacre. C'est hallucinant.

Les tableaux de la pièce se terminent tous par la mort d'un membre de la famille ou apparenté.

Dès le début ils arrivent tous sur la scène, adoptant une disposition qu'ils ne quitteront plus à chaque nouvelle apparition de début d'acte, alors qu'auront disparu les victimes de l'acte précédant. A chaque fin de tableau, la vapeur fume, symbolisant les aciéries, le chemin de fer (les trains qui conduisant à la mort), et un SS vient verser dans une grande urne les cendres de celui qui a été assassiné (le baron Joachim en premier, le jour même de son anniversaire), alors que l'acteur correspondant se couche dans l'un des cercueils filmé par la caméra.

Ce rituel devient vite obsessionnel et est l'une des grandes réussites de la pièce.

D'une manière générale, rien ne nous est épargné et la violence des propos et des situations est impitoyable.

Comme l'est l'ultime image, celle de l'enrôlement du doux et du rêveur Gunther (qui jouait du violoncelle dans le film et qui là, joue de la clarinette basse, et du pervers et dégénéré Martin qui se met à son tour à nu et mitraille la salle dans une explosion finale apocalyptique.

J'ai cité Denis Podalydès (Baron Konstantin von Essenbeck), qui mène le bal et la troupe avec une efficacité impressionnante.
Mais ils sont tous et toutes excellents :
Éric Génovèse qui campe un Wolf von Aschenbach (le SS) froid et calculateur, le vainqueur ce jeu de massacre, Guillaume Gallienne ( Friedrich Bruckmann), l'arriviste, celui qui vient des couches sociales plus modestes et qui voudrait bien être baron, être le chef, être l'héritier (et qui terminera fort mal), Elsa Lepoivre en Baronne Sophie von Essenbeck, impitoyable, qui manipule son fils l'héritier, amante du précédent, qui tentera de l'imposer et finira, nue elle aussi, couverte de goudrons et de plumes dans un mariage macabre,Loïc Corbery, le pur Herbert Thallman, l'idéaliste, le démocrate, qui finira en camp de concentration, Adeline d'Hermy, sa femme Elisabeth Thallman (magnifiquement incarnée par Charlotte Rampling dans le film de Visconti) qui mourra en camp de concentration, où la Baronne l'aura envoyée avec ses deux charmantes petites filles), Clément Hervieu-Léger, l'artiste de la famille, le charmant Günther von Essenbeck qui se laissera finalement embrigadé, Didier Sandre, le solennel Baron Joachim von Essenbeck, qui sait bien que le nazisme, ce n'est pas bien, mais qui voudrait pérenniser son pouvoir, ses aciéries, sans trop frayer, et qui sera assassiné dès le première tableau, celui de son anniversaire et enfin Christophe Montenez , qui doit nous faire oublier la magistrale prestation de Helmut Berger, dans le film, et qui réussit l'exploit en campant un Martin von Essenbeck à peu près parfait.

Une petite réserve : tout est sonorisé (très peu mais bon...) ce qui uniformise un peu les voix même si cela permet par ailleurs aux acteurs d'en modifier le volume de manière très impressionnante et pas du tout... naturelle.

Bref, allez-y, je crois qu'il reste des places. :D

Beaucoup d'hommes nus, quelques femmes mais moins.



Loic Corbery, Denis Podalydes et Guillaume Gallienne, de la Comédie française, dans "Les Damnés" mis en scène par Ivo Van Hove
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photo © ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

La nuit des longs couteaux
Denis Podalydes et Sébastien Baulain de la Comedie-Française dans "Les Damnés" mis en scène par Ivo van Hove
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photo © ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP



Martin et sa mère dans le film
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Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
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Re: Les Damnés de Visconti à la Comédie Française

Message par MariaStuarda » 19 déc. 2016, 21:46

On dit merci qui ? LOL

Oui superbe adaptation que j'avais vu à Avignon ... le 14 juillet, triste soir comme ce soir à Berlin.

J'avais re regardé le film après ça et je m'étais rendu compte que celui-ci en 1969 était encore plus violent que la pièce que je venais de voir à Avignon. La scène d'inceste de la fin a été occulté par Ivo Van Hove, signe d'une société post 2000 qui a plus de limites que l'après 68 ? sans doute.

En tous cas du très très grand art avec une troupe formidable et mon chouchou Christophe Montenez.

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Re: Les Damnés de Visconti à la Comédie Française

Message par paco » 19 déc. 2016, 21:52

HELENE ADAM a écrit :Bref, allez-y, je crois qu'il reste des places. :D
Ben non justement, c'est complet pour toutes les dates depuis bien longtemps, déjà à l'ouverture des réservations il ne restait quasiment plus rien ! :cry:

Puisqu'on est sur un fil un peu HS par rapport au sujet Opéra, j'en profite pour recommander le Marivaux qui se joue actuellement à la CF ("Le petit Maître corrigé"), une pièce qui n'avait plus été jouée depuis sa création il y a 2 siècles et demi ! C'est un régal du début à la fin : pièce très intéressante, dense, production très chouette tant visuellement qu'en direction d'acteurs, acteurs impeccables tous plus charismatiques les uns les autres.

Là, pour le coup il reste encore quelques places :mrgreen:

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Re: Les Damnés de Visconti à la Comédie Française

Message par MariaStuarda » 19 déc. 2016, 21:59

paco a écrit : Puisqu'on est sur un fil un peu HS par rapport au sujet Opéra, j'en profite pour recommander le Marivaux qui se joue actuellement à la CF ("Le petit Maître corrigé"), une pièce qui n'avait plus été jouée depuis sa création il y a 2 siècles et demi ! C'est un régal du début à la fin : pièce très intéressante, dense, production très chouette tant visuellement qu'en direction d'acteurs, acteurs impeccables tous plus charismatiques les uns les autres.

Là, pour le coup il reste encore quelques places :mrgreen:
ben non précisément les zarts est le seul espace d'ODB ou on n'est pas hors sujet quand on ne parle pas opéra.
Merci du conseil pour Marivaux. :D

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Re: Les Damnés de Visconti à la Comédie Française

Message par paco » 19 déc. 2016, 22:22

Alors, dans le même fil "Conseils", je signale que Ivo van Hove poursuivra son cycle "Visconti" et mettra en scène Ossessione ("Obsession" en anglais) au Barbican au printemps prochain, avec rien moins que... Jude Law dans le rôle principal.

Plus connu au cinéma et comme couverture de magazine People qu'au théâtre, Jude Law est cependant, pour l'avoir vu plusieurs fois sur scène (Ion, Faust, Hamlet, Anna Christy, Henry V) , un acteur bien plus intéressant au théâtre qu'au cinéma. Outre sa prononciation anglaise digne de la Royal Shakespeare, son charisme explose littéralement sur le plateau, notamment en raison d'un timbre de voix particulièrement riche et percutant.

Tout ceci pour dire que, si vous habitez la proche frontière (Lille, Calais, les Flandres belges), voire même Paris, je vous recommande vivement un saut d'Eurostar malgré le budget que cela signifie, car c'est une expérience vraiment saisissante que l'on n'oublie pas. Des matinées le samedi permettent l'aller-retour dans la journée (le spectacle dure 1h50 sans entracte).

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Re: Les Damnés de Visconti à la Comédie Française

Message par MariaStuarda » 19 déc. 2016, 22:28

Merci Paco de l'info !!
Tu sais quand les places seront en vente ?

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Re: Les Damnés de Visconti à la Comédie Française

Message par paco » 19 déc. 2016, 22:38

MariaStuarda a écrit :Merci Paco de l'info !!
Tu sais quand les places seront en vente ?
Elles le sont depuis un an, mais rassure toi il en reste encore beaucoup, à Londres il n'y a jamais vraiment d'hystérie au box office, même pour Jude Law :wink:
http://theatre.barbican.org.uk/event-ob ... -book.html

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Re: Les Damnés de Visconti à la Comédie Française

Message par MariaStuarda » 19 déc. 2016, 22:43

Je vais regarder ça alors :)

Il y aussi de fortes chances que ça finisse à l'Odéon l'an prochain

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Re: Les Damnés de Visconti à la Comédie Française

Message par HELENE ADAM » 19 déc. 2016, 23:19

MariaStuarda a écrit :On dit merci qui ? LOL
.
Merci Polo, :kissing: on a passé une super-soirée, avec tout plein de nostalgie et encore scotchés par la performance de la Troupe et l'intelligence de la mise en scène.
Sur que je ne vais pas rater Ossessione... :wink:
paco a écrit : Elles le sont depuis un an, mais rassure toi il en reste encore beaucoup, à Londres il n'y a jamais vraiment d'hystérie au box office, même pour Jude Law :wink:
http://theatre.barbican.org.uk/event-ob ... -book.html
Sauf pour qui tu sais, pour qui les trois jours au Barbican sont sold out depuis longtemps mais là je suis HS. :lol:
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
Elle : Eh bien ! donc, frappez votre père ! venez, de son meurtre souillé, traîner à l'autel votre mère

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Stefano P

Re: Les Damnés de Visconti à la Comédie Française

Message par Stefano P » 19 déc. 2016, 23:23

Hum, Jude Law qui reprend le rôle de Massimo Girotti, c"est quand même quelques degrés en moins sur l'échelle de la sexytude... Qu'est-ce qu'ils ont prévu après ça ? Pierre Niney en Rocco ? Guillaume Canet et Marion Cotillard en Tancrède et Angelica ? 8)

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