Rencontre avec Clémentine Margaine

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jeantoulouse
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Rencontre avec Clémentine Margaine

Message par jeantoulouse » 04 avr. 2018, 10:24

Entretien avec Clémentine Margaine Le 28/03/2018

A l’occasion de la Carmen toulousaine, j’ai rencontré Clémentine Margaine pour un entretien sur sa carrière et son évolution.
Q. Vous avez chanté Carmen des dizaines de fois. Quelle sera votre Carmen toulousaine ? Comment votre jeu ou votre interprétation sont-ils influencés par votre partenaire ?
CM. Chaque Carmen est différente en fonction de ses partenaires. Là j’ai la chance de chanter avec Charles Castronovo que j’ai eu comme partenaire à Berlin tout récemment dans Carmen. A Berlin, c’était une Carmen un peu différente, très spéciale. Ici à Toulouse, c’est ce qu’on se disait, on est contents de faire entre guillemets une « vraie » Carmen, plus traditionnelle. Avec lui, c’est très agréable, on se fait confiance. Ce sera un beau mélange, une belle union.
Q. Trois productions de Carmen ont défrayé la chronique : à Aix, puis Florence, enfin Montpellier. Quel est votre point de vue sur les mises en scène qui transforment, modifient les livrets ?
CM. C’est toujours le plus gros problème avec Carmen. C’est une œuvre de génie, populaire, mais très complexe, très écrite tant sur le plan musical que théâtral. Quand on cherche à y introduire un autre élément, les choses se compliquent, parce que cet autre élément est rarement aussi pertinent, aussi intelligent que la partition elle-même. Donc pourquoi pas, mais il y a quand même des excès. On ne peut pas changer l’histoire. C’est une chose d’interpréter, et c’en est une autre de changer l’histoire. Faire tuer Don José par Carmen … Je n’ai pas rencontré le metteur en scène, j’aimerais bien le rencontrer pour qu’il arrive à me convaincre. Et voir comment ils ont fait avec « Vous pouvez m’arrêter ! C’est moi qui l’ai tuée ». Je pense que c’était un buzz : il a voulu qu’on parle de sa production, et cela a marché en quelque sorte… La fin de Carmen est un crime passionnel. Il n’y a rien de plus fort théâtralement que de tuer la personne qu’on aime. Alors pourquoi le changer ?

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Photo de la prégérale de Carmen à Toulouse. Crédit Patrice Nin

Q. Vous dites avoir été éclairée ou marquée par votre rencontre avec le metteur en scène Robert Carsen (L’Amour des Trois Oranges à Berlin). En quel sens ?
CM. J’ai fait cette production avec lui à l’opéra de Berlin en effet. Et j’ai adoré sa manière de travailler. C’est une époque où j’étais en troupe. C’était une œuvre très collective et il est vrai que j’ai beaucoup aimé le travail avec lui. Il avait de l’humour, était très attentif à tous les détails. Souvent dans les productions anciennes, on va sur scène, on fait ce qu’on sait faire et c’est à peu près tout. Mais là, j’étais regardée et j’ai progressé.
Q. Etre regardé, c’est important ?
CM. Oui, regardée en tant qu’actrice, avec intérêt, comme si le metteur en scène cherchait à connaitre ce que l’acteur peut faire personnellement. Je ne fais pas la différence entre chanteur et acteur. Nous sommes des chanteurs – acteurs. On a un texte, une histoire à défendre, à faire passer. Certes, nous avons nos contraintes propres. Chaque art a ses contraintes. Et dans tout art on doit trouver sa liberté. Et comme nous avons parfois à défendre des histoires abracadabrantes, on se doit d’être encore plus un bon acteur.
Q. Votre parcours part de Narbonne où vous êtes née et Perpignan où vous avez commencé vos études musicales. . Quelle était votre environnement lyrique et musical dans votre enfance ?
CM. Je viens d’une famille où existe une grande tradition musicale. Ma grand-mère était violoniste. Ma petite sœur est pianiste. On a tous, frères et sœurs, joué d’un instrument. Moi j’ai fait beaucoup de piano étant jeune. Nous étions constamment dans les conservatoires. On a toujours eu de la musique à la maison. On a été incités à aller au concert…
Q. Quel est le premier opéra que vous ayez vu ?
Le premier opéra que j’ai vu, mais je jouais dedans ! C’était Carmen et j’étais un des enfants de la garde montante. C’était à Narbonne. J’étais dans une maitrise d’enfants et ils ont monté Carmen.
Q. Vous avez dit : « On ne peut pas tout de suite aller à une difficulté extrême sans s’y être préparé, sinon on abime l’instrument. Une voix se construit, il y a une logique ». Quelle logique suivez-vous ?
CM. La logique c’est d’abord être très à l’écoute de son corps, et très objectif par rapport à sa voix, être clairvoyante, ne pas se mentir. S’enregistrer au maximum, ce que je fais. Le public ne le sait pas, et tant mieux. Mais à chaque période de vie, on a des problèmes, la voix change, le corps change. On doit faire des ajustements techniques. Tout d’un coup une difficulté surgit sur un air ou une partie de l’opéra qu’on n’éprouvait pas avant. Parfois c’est un geste qu’on fait mal, ou au mauvais moment, trop tôt, et on paie les conséquences de cette erreur. Et la voix évolue et on doit changer les gestes vocaux. Sans entrer dans trop de détails, il faut être très à l’écoute de son instrument et veiller à ce qu’il soit le plus sain possible. Une discipline s’impose. Et savoir bien choisir les rôles. Parfois les gens se sentent un peu offensés parce qu’un chanteur annule une production d’opéra. La grande difficulté réside dans les engagements qu’on nous demande de prendre deux trois ans à l’avance c’est bien, mais souvent quatre ou cinq. Et comment prévoir ce que sera l’évolution de notre voix. ? Je me dirige vers les rôles de mezzo verdien. Je vais commencer avec Amnéris. J’ai déjà plusieurs engagements pour ce rôle-là, sans jamais l’avoir chanté encore. Je l’ai travaillé évidemment et je sais que c’est un rôle qui me tombe dans la voix. Mais nous on n’a pas un orchestre avec qui travailler. On le travaille avec piano. Mais chanter le même rôle avec orchestre, c’est complètement différent. Le moment de vérité pour savoir si un rôle est vraiment fait pour nous c’est la première répétition avec orchestre, c’est l’italienne : on voit si on passe bien l’orchestre, si on n’abime pas l’instrument, si on ne sort pas trop fatiguée à la fin d’un rôle, si le lendemain on récupère bien. C’est tout cela qui est compliqué à gérer.
Q. La puissance de votre voix, avez-vous suggéré une fois, a pu effrayer en France certains directeurs de salle alors qu’à l’étranger on osait davantage faire appel à vous. Est-ce exact ?
CM. Oui, c’est vrai. Etant jeune chanteuse étudiante, j’ai eu ce sentiment que je faisais un peu peur. Je le comprends par ailleurs. J’avais une voix qui était déjà imposante. C’était comme une pierre pas travaillée, c’était un peu brut, un peu sauvage, cela partait dans tous les sens et il fallait la polir et petit à petit affiner le geste. Mais il est vrai que j’ai souvent entendu, lors de petites auditions que je passais : « C’est trop fort ! ». Cela a constitué une révélation pour moi…
Q. Cela vous a blessée ? touchée ?
CM. Non, cela ne m’a pas blessée, mais cela m’a un peu induite en erreur. Et un peu complexée d’avoir cette voix. Les gens me disaient qu’ils la trouvaient belle généralement, mais pas adaptée aux rôles pour lesquels j’auditionnais. Par exemple, à l’époque j’aurais pu chanter Chérubin. J’avais une voix sonore, c’est tout. Je n’avais pas la voix trop lourde pour chanter ces rôles –là. Mais on ne me voyait pas là-dedans. Mais quand je suis arrivée à Berlin, j’ai passé une audition devant le Directeur du Deutsche Oper Berlin. J’ai chanté trois notes et j’ai vu une réaction positive et enthousiaste, du fait que ma voix avait un certain volume. Et il m’a proposé dans la foulée de faire partie de la troupe et offert ces rôles magnifiques. C’est là où j’ai commencé Carmen, Dalila. Il faut comprendre aussi qu’on parle d’une salle de 2000 places : il faut des voix comme cela pour les remplir.
Q. Est-il exact que vous êtes arrivée aphone à l’une de vos auditions ?
Ce n’était pas à une audition. Je suis arrivée aphone à l’entrée au Conservatoire, qui se passait en deux tours. C’était le drame. C’était trop tard pour qu’un médicament ou quelque médecin puisse sauver la situation. Mon professeur de chant de l’époque, et je la remercie encore, Anne- Marie Blanzat, m’a convaincue d’y aller quand même. C’est elle qui, alors que je faisais du droit, a révélé des potentialités dans ma voix et m’a formée et présentée au Conservatoire de Paris. Donc, j’y suis allée avec ma voix cassée. J’ai présenté ce que j’allais chanter (si je me rappelle bien, c’était La Cloche, une mélodie de Saint Saëns, et l’air des lettres de Charlotte) ; ils ont ri gentiment. En fait, il y a eu un débat entre eux : d’un côté ceux qui ne voulaient pas m’entendre vu l’état de ma voix et pour ne pas gâcher une des deux possibilités de se présenter ; et ceux qui au contraire m’encourageaient à chanter quand même. Et ils m’ont laissé passer au second tour, deux semaines plus tard.
Q. Vous chantez Carmen, Fidès du Prophète , la Favorite , Dalila, Dulcinée, Charlotte. D’autres rôles sont-ils en vue, autre que la Conception de L’Heure espagnole que vous chanterez en mai à Bastille ?
Adalgisa à Madrid (avec Radvanosky je crois), dans une ou deux saisons.
Q. On reste dans l’opéra italien, français. Vous ne vous aventurez pas dans l’opéra allemand? Vous maitrisez bien l’allemand puisque vous avez vécu quelques années en Allemagne…
Il est question de Wagner. Mais je vais être très prudente avec Wagner. J’aimerais bien commencer dans Fricka, ou Brangane. Mais j’ai un peur de rentrer dans le « club », je veux être très prudente.
Q. Vous rechanterez Fidès ?
Oui, je vais le rechanter. Pour moi, Fidès a été une révélation. C’est de loin le rôle le plus difficile que j’aie jamais chanté. C’est, je crois, le rôle le plus difficile de mezzo. Toutes les difficultés y sont concentrées : la longueur, l’ambitus, l’agilité, les vocalises, les graves. C’est fort, intense. Je l’ai fait à Berlin dans une mise en scène d’Olivier Py avec Gregory Kunde. J’ai vécu une expérience extraordinaire avec ce rôle. Six ou sept représentations, et je me suis sentie progresser au fil des représentations. Et j’ai beaucoup appris de Gregory Kunde. J’ai vu comment il gérait. Car c’est une des grandes difficultés du rôle. Il y a forcément dans ce rôle des moments où on est fatiguée. Et il faut apprendre à accepter ce fait. Pendant la représentation, qui dure cinq heures, il faut accepter cette baisse et apprendre à recharger l’énergie. Et en effet, ça revient…
Q. Quels sont vos opéras préférés en tant que mélomane ?
CM. Werther assurément et je trouve qu’on le donne trop rarement. J’en parle souvent avec les directeurs d’opéras. Et Don Carlo. Je commence à sérieusement penser au rôle d’Eboli. On me l’a déjà proposé, mais c’était trop tôt. Mais d’abord Amnéris que je vais chanter en Australie. Carmen, L’Heure espagnole dans la mise en scène très amusante de Pelly, La Favorite à Barcelone, puis Amnéris, voilà le calendrier.
Q. On peut vous entendre au disque dans le Castor et Pollux de Rameau, sous la direction de Raphaël Pichon, avec Sabine Devieilhe. L’opéra baroque, vous n’en parlez pas…
CM. Je n’en parle pas parce qu’on ne m’en propose pas beaucoup. Il y a certains rôles de Haendel que j’adorerais. Mais on me catalogue dans un répertoire plus lourd… J’aimerais beaucoup faire Jules César ou Ariodante, même Alcina. Le rôle de Phèdre dans Hippolyte et Aricie est magnifique. Je ne me vois pas faire un rôle de berger. Mais les tragédiennes, j’ai une couleur dans la voix pour.
Q. Votre répertoire comprend aussi des oratorios, la petite Messe ou le Stabat mater de Rossini, le Requiem de Dvorak. Comment s’est opérée cette ouverture à ces œuvres lyriques religieuses ?
CM. Nous sommes tributaires des demandes. J’ai beaucoup travaillé avec Michel Piquemal qui est un spécialiste de ce répertoire. N’oubliez pas le Requiem de Verdi que j’ai énormément chanté et que J’ai un plaisir fou à chanter. Avec Pinkas Steinberg notamment plusieurs fois.
Q. Parlez-moi de Martial Caillebotte et de l’œuvre que vous avez enregistrée, le Psaume 132, sous la direction de Michel Piquemal.
CM. C’est une partition magnifique que Michel Piquemal m’a fait découvrir. Une très belle découverte que j’ai pris grand plaisir à chanter.
Q. Vous apprenez facilement une partition ?
CM. Mon passé de pianiste m’aide énormément. Je travaille au piano. J’ai eu la chance d’avoir bénéficié d’une formation de solfège très poussée. L’éducation musicale en France est souvent excellente.
Q. Vous avez déjà répondu, je crois, à la question suivante sur le projet qui vous tient le plus à cœur. Apparemment, c’est Amnéris.
CM. Oui c’est Amnéris. J’ai eu par ailleurs la chance cette année d’effectuer une incroyable tournée avec l’Orchestre de Chicago et Riccardo Muti. J’ai donné le Poème de l’amour et de la mer de Chausson. J’ai vécu pendant deux semaines avec cet orchestre et Maestro Muti. J’étais sur un petit nuage : c’est un répertoire que j’adore, la mélodie avec orchestre, la mélodie française, Berlioz…
Q. Les Nuits d’été, vous y pensez ?
CM. Nous en avons parlé avec Maestro Muti. J’aimerais aussi La Mort de Cléopâtre.
Q. Et Les Troyens?
CM. Oui, il a été question de Cassandre. Cela n’a pas pu se faire. Mais cela va venir, c’est sûr. Didon, je connais bien le rôle. Oui, tout cela se fera un jour.
Q. Dans la vie lyrique, qu’est ce qui est le plus fatigant ?
CM. Les voyages. J’adore voyager… Mais ces derniers mois, c’est allé un peu vite. J’habitais Berlin, j’ai déménagé. Je viens juste d’aménager à Paris qui sera mon port d’attache.
Q. Vous serez donc sur place pour l’Heure espagnole ?
Oui, ce sera la première fois où je vais chanter chez moi, bien installée, les valises posées.
Q. Peut-on espérer dans un avenir proche vous entendre à nouveau à Toulouse ?
CM. Ce serait avec grand plaisir. J’ai l’impression de chanter à la maison. J’ai mes parents à côté. Et puis, je suis une fille du Sud. Prendre un café en terrasse au soleil avec ma partition de l’Heure espagnole pour peaufiner certains détails au soleil, quel bonheur.
Et Clémentine Margaine, toujours souriante, se hâte de se rendre à sa leçon de danse dans les étages supérieurs du Capitole pour le flamenco que lui impose la nouvelle mise en scène de Carmen.

Jean Jordy

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Re: Rencontre avec Clémentine Margaine

Message par HELENE ADAM » 05 avr. 2018, 08:21

merci, c'est passionnant cette histoire de "voix trop lourde". Clémentine Margaine qui ne m'avait que moyennement convaincue à Bastille en Carmen (mais certaines retransmissions notamment sa Carmen au MET étaient bien meilleures), a été ma révélation dans le Prophète en Fidès. Epoustouflante. Elle se décrit bien, elle a un côté "nature" terriblement séduisant, elle se donne complètement sur scène et les rôles extériorisés lui vont très bien. Fricka, très bonne idée mais aussi Judith par exemple ?
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
Elle : Eh bien ! donc, frappez votre père ! venez, de son meurtre souillé, traîner à l'autel votre mère

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Re: Rencontre avec Clémentine Margaine

Message par Piero1809 » 05 avr. 2018, 14:48

Interview passionnant. Merci.
J'avais vu Clémentine Margaine dans Castor et Pollux et avais été impressionné par le volume de sa voix.
Pourrait-elle chanter Salomé? L'ambitus du rôle va du ré bémol2 au si bémol 4.

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