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par Clement » 25 mai 2005, 22:00
ce jeu des travestissement et ce non réalisme dans les répartitions sexuelles des voix font partie de l'intérêt et de l'essence même du répertoire belcantiste. par la suite, une certaine rationalisation (qui a empêché les Français si carrés de sucomber aux castrats et à l'opéra seria) a figé les tessitures soprano/ténor enquiquinés par un baryton...
Bajazet a déjà donné l'essentiel, mais on peut donner d'autres exemples de "bizarreries" qui faisaient le délice des spectateurs de l'époque (et le nôtre si on n'est pas attaché à un "réalisme" dans la représentation des sexes et des rôles), en restant dans les tessitures aiguës :
- les jeunes et jolis castrats débutaient souvent dans des rôles féminins, même dans l'opéra bouffe (plus réaliste pourtant - c'est le cas de Marchesi), et interprétait TOUS les rôles féminins dans les états pontificaux au 18ème, puisque les femmes étaient interdites sur scène ! ainsi un certain castrat Fontana, surnommé Farfallino, a eu sa période de gloire à Rome dans les années 1720, spécialisé dans les rôles féminins (Griselda de Scarlatti par exemple, et aussi, je crois, Giustino de Vivaldi...). Ces pratiques et l'ambiguité de ces interprètes sont le sujet de la nouvelle "Sarrasine" de Balzac.
de nos jours, ces rôles féminins sont quasiment toujours chantés par des femmes, comme la Cleopatra évoquée, créée par Farinelli, et chantée par Bayrakdarian ou Aikin dans des reprises récentes (et, pour info, son Marc Antonio était la célébrissime Vittoria Tesi)
- les premiers rôles masculins de soprano ou contralto étaient interprétés par des castrats soprano ou contralto, ou des contraltos féminin (plus rarement soprano sauf à la fin du 18eme avec l'élévation générale des tessitures). Certaines cantatrices à la voix et au physique particulièrement adapté s'en faisaient même une spécialité : le Tesi dont nous parlions, mais aussi la Merighi, par exemple, ou Diana Vico, etc... pour compliquer les choses, il faut signaler que bien souvent (surtout au 17eme), les personnages se présentent travestis sur scène, jeu que l'on retrouve avec Cherubin : femme qui joue un garçon qui se déguise en femme. Ainsi, c'est le cas des guerrières à la Bradamante (Orlando, Alcina et compagnie), ou d'Amastre (Serse). dans l'Orlando finto pazzo (Vivaldi), Grifone, rôle masculin créé par un castrat, se fait passer pour une femme, et sa maîtresse Origille, créé par une femme, pour un guerrier. on suit ? de même dans la Statira de Cavalli, avec son Usimano (castrat soprano) déguisé en dame de compagnie avant de reprendre ses atours de guerrier. Le Jupiter de Calisto du même Cavalli passe de basse à alto (Diane...) pour séduire la nymphe, suscitant le trouble du berger Endymion (alto...) !
Bref l'ambiguité sexuelle et les jeux de travestissement font partie intégrante de ce répertoire.
POURQUOI ?
d'abord, la prédominance des registres aigus pour la représentations des personnages masculins (soprano et alto) peut de nos jours étonner dans des parties de héros comme Alexandre le grand, Hercule, Jupiter, Jules César... mais ces héros apparaissaient de manière idéalisée, armés d'une voix surhumaine (tessiture et technique échappant aux possibilités masculines et humaines communes), une fraîcheur et un parfum de jeunesse éternelle qui leur conférait un statut de demi-dieu, qui se situait d'emblée dans l'abstraction légendaire. Qu'importe alors si, scéniquement, Cesar est un homme ou une femme, ce n'est qu'un détail prosaïque.
les prime donne ne sont d'ailleurs pas systématiquement sopranos, notamment dans l'opera Vivaldien, qui foisonnent de contralti...
Maintenant, pour répondre à Perrine concernant les rôles créés par des castrats : au répertoire on compte principalement les operas de Haendel. les rôles principaux masculins sont surtout des contraltos créés par le castrat Senesino (voire Nicolini dans Rinaldo, Amadigi). contre-ténors et contraltos féminins sont distribués au cas par cas dans ces rôles. les rôles créés par le castrat Carestini sont de tessiture plus longue et aiguë et échoient donc à des femmes (Ariodante, Ruggiero dans Alcina...), bien que Jaroussky se lance l'an prochain dasn un hommage à ce célèbre castrat.
même des rôles créés à l'origine par des femmes en travestis sont maintenant plus traditionnellement confiés à des falsettistes, comme Arsamene dans Serse, ou Ottone dans Agrippiina.
parler de castrat à propos des contre-ténors (=falsettistes) est une arnaque courante. rien à voir ! l'intervention des contre-ténors dans ce répertoire est sujette à de nombreux débats, où resurgit souvnet le réalisme en scène (ce qui est déjà méconnaître l'essence même de ce répertoire). disons qu'historiquement et si on veut faire "authentique", ils n'ont rien à y faire, et qu'un contralto est souvent plus à sa place dans ces rôles, ne serait que du point de vue de la tessiture et d'un certain héroïsme. maintenant, un bon contre-ténor vaut mieux qu'une mauvaise contralto...
Bezzina a joué cette carte baroque à fond dans le délirant "incoronazione di Dario" (Vivaldi, 1716), confiant les deux rôles de princesses (contraltos féminins à l'origine) aux falsettistes Ledroit et Lesne, et les princes (castrats soprano) à des femmes. la nourrice, alto est tenue par Visse, qui est décidément habitué aux nourrices !
Enfin, les représentations de personnages jeunes par des femmes (généralisé à défaut de castrats) a perduré tant bien que mal jusqu'à nos jours. Des contraltos de l'époque de Rossini, encore auréolés de l'héroïsme des castrats suivis de Romeo, Smeton, Orsini. Chez Verdi Oscar, Tebaldo ne sont plus que des jeunes espiègles, à la tessiture de soprano, tout comme les sopranos ou mezzos sopranisant Jemmy, Urbain (à part le rondo d'Alboni) , Isolier, Siebel, Nicklausse... de l'opéra français. il y a aussi Ratmir, Vania, chez les Russes (je ne connais pas), Oktavian ou le compositeur chez Strauss. il y a quelques années, un Rimbaud contralto a été écrit. de même, le jeune Berlioz selon Condé a pris la voix d'un soprano.
et pour définir un personnage hors du monde humain commun, étrange, qui échappe aux catégories sexuelles, Petigirard a confié Elephant Man à un contralto.
la transposition est rarement une bonne solution, Jacobs a bien raison d'évoquer les frottements sensuels des voix des héros à la tierce dans Cleopatra & Cesare de Graun (on pourrait citer mille opera, du couronnement de Poppée à Lucio Silla, Tancredi...)
Voilà toute la richesse du travesti !! et BRavo à ceux qui auront tenu jusqu'au bout de mon message.