Florence Badol-Bertrand - Mozart ou la vie (roman)

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EdeB
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Florence Badol-Bertrand - Mozart ou la vie (roman)

Message par EdeB » 26 août 2006, 18:39

Florence Badol-Bertrand. Mozart ou la vie. Paris : Séguier Archambaud, 2006.


Tout est vrai mais tout est faux. Ou plutôt, tout est faux mais tout pourrait être vrai. En tout cas, Mozart n'a pu que rencontrer Joseph Garnier lors de son séjour à Paris en 1778, puisqu'il était hautbois solo de l'orchestre du Concert spirituel. Il joua donc sa Symphonie parisienne sous sa direction - historiquement, il ne peut en être autrement. Dès lors, comment ne pas imaginer que Garnier, le sauveur de l'école française de hautbois sous la Révolution, n'ait pas été bouleversé par la découverte de cette musique ? Et par suite, qu'il n'ait pas soutenu Mozart, seul dans Paris à la mort de sa mère, qu'ils n'aient pas tissé de liens, que Mozart ne lui ait pas transmis ses manuscrits, qu'ils n'aient pas cherché à se revoir... Voilà pourquoi, par-delà un engagement musicologique permanent, Garnier m'est apparu comme le témoin idéal d'un face à face fondé sur le partage de l'émotion et la mise en lumière d'un cheminement intime. (Quatrième de couverture)

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Roman mozartien bien plus original que de coutume que celui de Florence Badol-Bertrand, enseignante de l'histoire de la musique au Conservatoire national supérieur de Paris et au conservatoire de Saint-Etienne, et également auteur du CD rom contenu dans l'enregistrement de Cosi fan Tutte enregistré par René Jacobs.

Elle a imaginé de raconter la vie de Mozart par un truchement original, la voix de Joseph Garnier (1755 - 1825), hauboiste au Concert Spirituel, qui a très probablement cotoyé Mozart pour la création de la Symphonie Parisienne (KV 297). Ce musicien était également compositeur.

L'idée est ingénieuse et fonctionne très bien, et forme ainsi un déroulement plus ludique qu'une biographie classique, intégrant la voix subjective du narrateur ; ce dernier insère également dans le récit quelques éléments de sa vie de musicien à travers les tribulations révolutionnaires. Dommage que ces dernières ne soient qu'assez allusives.
Mme Badol-Bertrand étant musicologue, elle a également intégré des analyses des oeuvres de Mozart dans le cours de son récit. Ces commentaires, très clairs, sont très intéressants, tant pour le néophyte que pour l'amateur confirmé. Ce détail est cohérent avec les sources d'époque, car si les compositeurs peuvent se montrer prolixes sur leurs oeuvres -ou quelquefois celles des autres-, les interprètes -chanteurs, acteurs- ne laissent apparaître dans leurs écrits que des mentions de leurs propres succès et des anecdotes, souvent très vagues, sur leur contexte professionnel : on est encore à une époque où l'étalage du moi n'est pas totalement impudique, n'en déplaise à Rousseau, et où les souvenirs sont autant fait d'anecdotes de personnes célèbres rencontrées (aujourd'hui on pourrait appeller cela du "name dropping") que d'expériences personnelles.

Cependant, la lecture du roman demande un peu de "suspension d'incrédulité" comme le disent les anglo-saxons : est-il réellement concevable que Mozart, qui avait en telle aversion la France et les Français, se soit confié si pleinement et si rapidement à un musicien étranger ? (Même si l'on prend en compte le choc de la mort de sa mère... puisque les deux hommes se lient peu de temps après l'enterrement d'AnnaMaria à Saint-Eustache.)

Car le compositeur ne laisse rien ignorer de ses déboires et de sa vie intérieure et privée, transmettant même à Garnier des extraits de sa correspondance avec son père. (A moins que ce ne soit Constanze ou Wolfgang Junior qui les lui aient communiqués des années après, puisque cette correspondance avait été conservée par Leopold, et transmise à Nannerl, qui les donna à son neveu et à Nissen) Et Garnier est très au fait de tas de petites choses de la vie de Mozart qui ne pourraient être connues que d'intimes ou de très proches (y compris géographiquement parlant). Il est vrai que le hautboïste obtient des congés et se trouve fort opportunément présent lors de certaines étapes musicales importante de la carrière de son ami.
Certes, on ne peut écarter le fait que Mozart ait pu nouer une amitié avec un français, mais si le fait inventé sert l'économie du roman, il me semble néanmoins un peu tiré par les cheveux, au regard de la réalité historique... Mais ne boudons pas notre plaisir à la lecture et acceptons ce postulat, même un peu improbable, qui fonde le roman.

En passant, Mme Badol-Bertrand met à mal certaines idées reçues qui trainent dans quasiement tous les romans et beaucoup d'ouvrages savants publiés en français (Constanze présentée comme une gourde inculte musicalement parlant, etc) et rétablit certaines vérités probables clamées par les chercheurs : les déménagements incessants liés à l'instabilité foncière de Mozart et aux deuils successifs (quand un enfant meurt, le déménagement n'est pas loin) et non seulement aux ennuis d'argent (Mozart est mort dans un appartement "minable" de 150 m2 environ !!), l'inachèvement de la Messe en Ut non pas à cause de sa dédicace à Constanze, mais parce que cette partie de la liturgie n'était pas chantée pour le jour de sa création prévue à Salzbourg, etc... Par contre, elle n'a pas pleinement pris en compte les travaux de Daniel Heartz sur l'élaboration des Nozze di Figaro : tout porte à croire que Joseph II était évidemment partie prenante de la commande et de la mise au théâtre de ce Figaro.
Somme toute, une lecture très agréable, et allégée (quelques rares appels de notes renvoient aux sources citées, et aux personnes mentionnées) : j'aurais, pour ma part, souhaité une bibliographie détaillée, indiquant les travaux qui ont fondé le roman.

Un ouvrage de fiction qui n'en est pas totalement un, dans la droite ligne éditoriale de Séguier, qui a intoduit le lecteur français à des textes aussi fondateurs pour l'historiographie mozartienne qu'Alexandre Oulibicheff et les travaux de Jean-Victor Hocquart...

Sur Joseph Garnier (en ligne) :
¤ http://musicmac.ifrance.com/musicmac/docs/garnier.html
¤ Notice dans : Fétis, François-Joseph (1784-1871) Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique, 2e éd. [sic] Paris : Firmin-Didot, 1866-1868
Tome 3 p 410 et 411 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k69719q.pagination

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