Fortune de F. Poulenc. Diffusion, interprétation, réception. (2016)

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JdeB
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Fortune de F. Poulenc. Diffusion, interprétation, réception. (2016)

Message par JdeB » 27 sept. 2016, 10:54

Hervé Lacombe & Nicolas Southon, dir, Fortune de Francis Poulenc. Diffusion, interprétation, réception, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, 301 pages, 22 euros.

Ce livre collectif explore avec brio un aspect jusqu’alors négligé, la fortune artistique de Francis Poulenc en France comme à l’étranger (Espagne, Allemagne, USA, Japon).

Hervé Lacombe nous livre une passionnante analyse sur le souci constant du compositeur, « très attentif comme toujours (malgré ce qu’il prétend assez souvent) à ce qui se dit de lui », de sculpter son image, de cultiver vaillamment ses réseaux et de travailler à sa postérité avec une « intelligence de l’économie relationnelle » assez rare, notamment en distribuant avec abondance mais pas toujours avec sincérité les mots flatteurs aux critiques, hommes de radios, programmateurs, musicographes et biographes. Poulenc fait montre surtout d’une belle faculté « d’inscrire son œuvre dans un récit de soi et de la musique française »

L'étude de Francesc Cortès sur la réception en Espagne, où Poulenc est joué par Rubinstein dès avril 1922 à Madrid, contextualise avec beaucoup de pertinence la création des Dialogues des Carmélites (Liceo, 1959) dans ce pays où Bernanos, auteur des Grands Cimetières sous la lune, une charge contre Franco et le haut clergé, n’était guère en odeur de sainteté. Notons que Les Mamelles de Tirésias ont attendu 62 ans pour être monté dans la péninsule. C’est Bilbao qui en a assuré la création ibérique avec Maria Bayo en 2009.

L’étude sur Poulenc à Strasbourg est enrichie d’une très complète chronologie qui court de 1923 à 2013 et qui, en fournissant le programme complet des concerts, donne des indications intéressantes sur d’autres compositeurs. On note par exemple l’exécution le 12 janvier 1933 de La Voyante de Sauguet, la création française des Chants de Maldoror de Marius Constant le 12 juin 1963 avec Michel Bouquet en récitant, Une Education manquée de Chabrier avec Rachel Yakar le 20 mars 1967. La création locale de Dialogues des Carmélites n’a eu lieu que le 16 octobre 1981 mais avec Régine Crespin et Suzanne Sarroca, la production de janvier 1999 mise en scène par Marthe Keller restant dans toutes les mémoires.

Au Japon, la création de La Voix humaine a été assurée par Toshiro Furusawa, une ancienne élève de la légendaire Claire Croiza, en français, fait exceptionnel pour l’époque, dès février 1964 à Tokyo tandis que les Dialogues des Carmélites ont été montées pour la première fois dans ce pays le 18 mars 1990 par des semi-professionnels. En septembre 1996 Seiji Ozawa triompha dans les Mamelles de Tirésias dans le cadre de son festival Saito Kinen avec B. Bonney, JP Fouchécourt et JP Lafont.

L’étude sur la fortune discographique de l’œuvre de Poulenc, riche de 8 266 enregistrements !, nous apprend qu’il n’existe pas moins de 44 versions gravées de l’Histoire de Babar, 40 du Gloria, 33 du Bestiaire et autant des Fiançailles pour rire. Les chanteurs qui ont le plus enregistré Poulenc sont dans l’ordre F. Lott (très loin devant avec 84 références discographiques), P. Bernac, G. Cachemaille, C. Dubosc et G. Souzay.

Avec le brio qu’on lui connaît, Isabelle Moindrot analyse les principales productions de Dialogues des Carmélites, depuis celle originale de Margarete Wallmann à la Scala en janvier 1957 jusqu’à celles très récentes de Tcherniakov, Honoré et Py (cette dernière mis en regard avec l’œuvre de Tadeusz Kantor).

Malou Haine retrace la carrière de cet ouvrage en Belgique et au Luxembourg de 1959 à 1961 tandis que Stefan Keyn s’y attache pour l’aire germanique où le chef d’œuvre a connu sa création à Cologne dès le 14 juillet 1957, représentation qui a obtenu 17 rappels. L’article de Vincent Giroud sur Poulenc au Met apporte aussi des éclairages neufs et met l’accent, comme il se doit, sur Régine Crespin dont il montre qu’elle a pris comme libertés avec la partition « en s’autorisant, lors des répétitions, de l’attitude bienveillante du compositeur en 1957 ».

Très neuf aussi le regard de Fiamma Nicolodi sur Poulenc et les musiciens italiens de son temps où l’on apprend que Bernac commanda à Dallapiccola une œuvre pour baryton et piano à partir de trois fragments de la Chanson de Roland: Rencesvals qu’il créa, accompagné comme à l’accoutumée par Poulenc, à la radio de Bruxelles le 19 décembre 1946.

Au total, un live très enrichissant sur la postérité d’un compositeur, qui contre toute attente et à malgré ses plus vives craintes, n’a pas connu de purgatoire et ne cesse de passionner la fine fleur des nouveaux interprètes et les nouveaux publics.

Jérôme Pesqué
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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