Opéras dans le roman

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HELENE ADAM
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Opéras dans le roman

Message par HELENE ADAM » 08 juin 2017, 15:58

J'ai toujours beaucoup aimé la fameuse scène de la représentation de Lucia di Lammermoor dans "Madame Bovary". Emma, amoureuse du ténor qui interprète Edgardo ((Lagardy), s'identifie à Lucia durant la représentation.
La description est fantastique, surtout pour le lecteur qui connait l'opéra...

"Dès la première scène, il (Edgar-Lagardy) enthousiasma. Il pressait Lucie dans ses bras, il la quittait, il revenait, il semblait désespéré : il avait des éclats de colère, puis des râles élégiaques d’une douceur infinie, et les notes s’échappaient de son cou nu, pleines de sanglots et de baisers. Emma se penchait pour le voir, égratignant avec ses ongles le velours de sa loge. Elle s’emplissait le cœur de ces lamentations mélodieuses qui se traînaient à l’accompagnement des contrebasses, comme des cris de naufragés dans le tumulte d’une tempête. Elle reconnaissait tous les enivrements et les angoisses dont elle avait manqué mourir. La voix de la chanteuse ne lui semblait être que le retentissement de sa conscience, et cette illusion qui la charmait quelque chose même de sa vie. Mais personne sur la terre ne l’avait aimée d’un pareil amour. Il ne pleurait pas comme Edgar, le dernier soir, au clair de lune, lorsqu’ils se disaient : « À demain ; à demain !… » La salle craquait sous les bravos ; on recommença la strette entière ; les amoureux parlaient des fleurs de leur tombe, de serments, d’exil, de fatalité, d’espérances, et quand ils poussèrent l’adieu final, Emma jeta un cri aigu, qui se confondit avec la vibration des derniers accords."

A vous de jouer... :wink:
Et de trouver d'autres descriptions de représentations d'opéra dans les romans.
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
Elle : Eh bien ! donc, frappez votre père ! venez, de son meurtre souillé, traîner à l'autel votre mère

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Re: Opéras dans le roman

Message par Adalbéron » 08 juin 2017, 16:17

C'est dans une nouvelle, mais il y a une représentation d'opéra dans Sarrasine de Balzac (si j'en disais plus, j'en dirais trop, mais la figure du chanteur est principale dans cette nouvelle).
Sinon il y a une représentation d'Orphée et Eurydice de Gluck dans La Peste de Camus. La parodie de l'Orphée aux Enfers d'Offenbach dans le premier chapitre de Nana de Zola. Une scène dans Illusions perdues, mais je ne sais plus de quelle œuvre il s'agit.
Je vais chercher, c'est tout ce qui me vient spontanément pour le moment :).

Il y a aussi de nombreuses références à des opéras disséminés dans quantité de romans. Dans Aurélien d'Aragon par exemple, on parle de Tristan et Isolde (le prélude du troisième acte dans un jukebox).
« Life’s but a walking shadow, a poor player / That struts and frets his hour upon the stage / And then is heard no more. It is a tale / Told by an idiot, full of sound and fury, / Signifying nothing. »
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Re: Opéras dans le roman

Message par micaela » 08 juin 2017, 16:31

Le fantôme de l'Opéra, même si les œuvres auxquelles il est fait allusion n'ont parfois (?pas lu depuis longtemps) existé que dans l'imagination de Gaston Leroux.
J'ai lu un roman récent, l'accordeur de pianos (Pascal Mercier) où un ténor est assassiné (on lui tire dessus depuis une loge du théâtre) lors d'une représentation de Tosca , à un moment bien choisi : l'exécution de Mario.
Sinon, je ne vois pas trop dans l'immédiat. Ah si, même si ce n'est pas vraiment une scène d'opéra : l'inspecteur Wallander, le policier créé par Henning Mankell est fan d'opéra, et grand admirateur de Jussi Björling. D'ailleurs, dans l'un des derniers (voire le dernier) romans de la série, il nomme son chien Jussi, en hommage à Björling.
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Re: Opéras dans le roman

Message par Loïs » 08 juin 2017, 23:29

Werther ce soir de Cauvin qui double l'histoire de Werther par celles des chanteurs se retrouvant peu ou prou dans la même situation. Superbe jeu de mirroir au long des représentations & répétitions.
Et puis surtout la grande question : qui a tiré sur Werther . On suppose qu'il sait tiré une balle mais on suppose seulement , quand le rideau se lève au IV, Werthé est déjà blessé. Après tout où étais Albert qui est sorti de la pièce au III? Werther se suicide t'il comme le laisse présager son air du II? Et si c'était Charlotte qui ne veut pas qu'il parte....

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Re: Opéras dans le roman

Message par Macbetto » 09 juin 2017, 00:40

"Dès la première scène, il (Edgar-Lagardy) enthousiasma. Il pressait Lucie dans ses bras, il la quittait, il revenait, il semblait désespéré : il avait des éclats de colère, puis des râles élégiaques d’une douceur infinie, et les notes s’échappaient de son cou nu, pleines de sanglots et de baisers. Emma se penchait pour le voir, égratignant avec ses ongles le velours de sa loge. Elle s’emplissait le cœur de ces lamentations mélodieuses qui se traînaient à l’accompagnement des contrebasses, comme des cris de naufragés dans le tumulte d’une tempête. Elle reconnaissait tous les enivrements et les angoisses dont elle avait manqué mourir. La voix de la chanteuse ne lui semblait être que le retentissement de sa conscience, et cette illusion qui la charmait quelque chose même de sa vie. Mais personne sur la terre ne l’avait aimée d’un pareil amour. Il ne pleurait pas comme Edgar, le dernier soir, au clair de lune, lorsqu’ils se disaient : « À demain ; à demain !… » La salle craquait sous les bravos ; on recommença la strette entière ; les amoureux parlaient des fleurs de leur tombe, de serments, d’exil, de fatalité, d’espérances, et quand ils poussèrent l’adieu final, Emma jeta un cri aigu, qui se confondit avec la vibration des derniers accords."
Tiens, c'est drôle c'est exactement le texte - avec la page précédente- que j'ai eu à l'épreuve de thème de l'agrég: coton à traduire cette affaire :roll:

Pour rester dans le sujet, j'ai souvenir lointain de très belles pages sur le rôle social de l'opéra et la découverte fascinante du "beau" par un petit garçon de 7 ans assistant à sa première représentation d'Aïda à Palerme. C'est dans "une Enfance Sicilienne" de E.Charles-Roux d'après les souvenirs de Fulco di Verdura.

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Re: Opéras dans le roman

Message par Adalbéron » 09 juin 2017, 00:43

Les extraits que j'ai évoqué :

Balzac, Sarrasine
« Il avait déjà passé quinze jours dans l’état d’extase qui saisit toutes les jeunes imaginations à l’aspect de la reine des ruines, quand, un soir, entra au théâtre d’Argentina, devant lequel se pressa une grande foule. Il s’enquit des causes de cette affluence, et le monde répondit par deux noms “Zambinella ! Jonielli !” Il entre et s’assied au par terre, pressé par deux abbati notablement gros ; mais il était assez heureusement placé près de la scène. La toile se leva. Pour la première fois de sa vie il entend cette musique dont M. Jean-Jacques Rousseau avait si éloquemment vanté les délices, pendant une soirée du baron d’Holbach. Les sens du jeune sculpteur furent, pour ainsi dire, lubrifiés par les accents de la sublime harmonie de Jonielli.
Les langoureuses originalités de ces voix italiennes habilement mariées le plongèrent dans une ravissante extase. Il resta muet, immobile, ne se sentant pas même foulé par deux prêtres. Son âme passa dans ses oreilles et dans ses jeux. Il crut écouter par chacun de ses pores. Tout à coup des applaudissements à faire crouler la salle accueillirent l’entrée en scène de la prima donna. Elle s’avança par coquetterie sur le devant du théâtre, et salua le public avec une grâce infinie. Les lumières, l’enthousiasme de tout un peuple, l’illusion de la scène, les prestiges d’une toilette qui, à cette époque, était assez engageante, conspirèrent en faveur de cette femme. Sarrasine poussa des cris de plaisir. Il admirait an ce moment la beauté idéale de laquelle il avait jusqu’alors cherché ça et là les perfections dans la nature, en demandant à un modèle, souvent ignoble, les rondeurs d’une jambe accomplie ; à tel autre, les contours du sein ; à celui-là, ses blanches épaules ; prenant enfin le cou d’une jeune fille, et les mains de cette femme, et les genoux polis de cet enfant, sans rencontrer jamais sous le ciel froid de Paris les riches et suaves créations de la Grèce antique. [...]
Quand la Zambinella chanta, ce fut un théâtre. L’artiste eut froid ; puis, sentit un foyer qui pétilla soudain dans les profondeurs de son être intime, de ce que nous nommons cœur, faute de mot ! Il n’applaudit pas, il ne dit rien, éprouvait un mouvement de folie, espèce de frénésie qui ne nous agite qu’à cet âge où le désir a je ne sa quoi de terrible et d’infernal. Sarrasine voulait s’élancer sur le théâtre et s’emparer de cette femme. Sa force, centuplée par une dépression morale impossible expliquer, puisque ces phénomènes se passent dans une sphère inaccessible à l’observation humaine, tendait à se projeter avec une violence douloureuse. À le voir, on eût dit d’un homme froid et stupide. Gloire, science, avenir, existence,
“Être aimé d’elle, ou mourir”, tel fut l’arrêt que Sarrasine porta sur lui-même. Il était si complètement ivre qu’il ne voyait plus ni salle, ni spectateurs, ni acteurs, n’entendait plus de musique.
Bien mieux, il n’existait pas de distance entre lui et la Zambinella, il la possédait, ses yeux, attachés sur elle, s’emparaient d’elle. Une puissance presque diabolique lui permettait de sentir le vent de cette voix, de respirer la poudre embaumée dont ces cheveux étaient imprégnés, de voir les méplats de ce visage, d’y compter les veines bleues qui en nuançaient la peau satinée. Enfin cette voix agile, fraîche et d’un timbre argenté, souple comme un fil auquel le moindre souffle d’air donne une forme, qu’il roule et déroule, développe et disperse, cette voix attaquait si vivement son âme qu’il laissa plus d’une fois échapper de ces cris involontaires arrachés par les délices convulsives trop rarement données par les passions humaines. Bientôt il fut obligé de quitter le théâtre. Ses jambes tremblantes refusaient presque de le soutenir. Il était abattu, faible comme un homme nerveux qui s’est livré à quelque effroyable colère. Il avait eu tant de plaisir, ou peut être avait-il tant souffert, que sa vie s’était écoulée comme l’eau d’un vase renversé par un choc. Il sentait en lui un vide, un anéantissement semblable à ces atonies qui désespèrent les convalescents au sort d’une forte maladie. Envahi par une tristesse inexplicable, il alla s’asseoir sur les marches d’une église. Le dos appuyé contre une colonne, il se perdit dans une méditation confuse comme un rêve. La passion l’avait foudroyé. De retour au logis, il tomba dans un de ces paroxysmes d’activité qui nous révèlent la présence de principes nouveaux dans notre existence. En proie cette première fièvre d’amour qui tient autant au plaisir qu’à la douleur, il voulut tromper son impatience et son délire en dessinant la Zambinella de mémoire.
»



Zola, Nana

Dans la salle, Fauchery et la Faloise, devant leurs fauteuils, regardaient de nouveau. Maintenant, la salle resplendissait. De hautes flammes de gaz allumaient le grand lustre de cristal d’un ruissellement de feux jaunes et roses, qui se brisaient du cintre au parterre en une pluie de clarté. Les velours grenat des sièges se moiraient de laque, tandis que les ors luisaient et que les ornements vert tendre en adoucissaient l’éclat, sous les peintures trop crues du plafond. Haussée, la rampe, dans une nappe brusque de lumière, incendiait le rideau, dont la lourde draperie de pourpre avait une richesse de palais fabuleux, jurant avec la pauvreté du cadre, où des lézardes montraient le plâtre sous la dorure. Il faisait déjà chaud. À leurs pupitres, les musiciens accordaient leurs instruments, avec des trilles légers de flûte, des soupirs étouffés de cor, des voix chantantes de violon, qui s’envolaient au milieu du brouhaha grandissant des voix. Tous les spectateurs parlaient, se poussaient, se casaient, dans l’assaut donné aux places ; et la bousculade des couloirs était si rude, que chaque porte lâchait péniblement un flot de monde, intarissable. C’étaient des signes d’appel, des froissements d’étoffe, un défilé de jupes et de coiffures, coupées par le noir d’un habit ou d’une redingote. Pourtant, les rangées de fauteuils s’emplissaient peu à peu ; une toilette claire se détachait, une tête au fin profil baissait son chignon, où courait l’éclair d’un bijou. Dans une loge, un coin d’épaule nue avait une blancheur de soie. D’autres femmes, tranquilles, s’éventaient avec langueur, en suivant du regard les poussées de la foule ; pendant que de jeunes messieurs, debout à l’orchestre, le gilet largement ouvert, un gardenia à la boutonnière, braquaient leurs jumelles du bout de leurs doigts gantés.

[...]

À ce moment, les nuées, au fond, s’écartèrent, et Vénus parut. Nana, très grande, très forte pour ses dix-huit ans, dans sa tunique blanche de déesse, ses longs cheveux blonds simplement dénoués sur les épaules, descendit vers la rampe avec un aplomb tranquille, en riant au public. Et elle entama son grand air :

Lorsque Vénus rôde le soir…
Dès le second vers, on se regardait dans la salle. Était-ce une plaisanterie, quelque gageure de Bordenave ? Jamais on n’avait entendu une voix aussi fausse, menée avec moins de méthode. Son directeur la jugeait bien, elle chantait comme une seringue. Et elle ne savait même pas se tenir en scène, elle jetait les mains en avant, dans un balancement de tout son corps, qu’on trouva peu convenable et disgracieux. Des oh ! oh ! s’élevaient déjà du parterre et des petites places, on sifflotait, lorsqu’une voix de jeune coq en train de muer, aux fauteuils d’orchestre, lança avec conviction :

— Très chic !

Toute la salle regarda. C’était le chérubin, l’échappé de collège, ses beaux yeux écarquillés, sa face blonde enflammée par la vue de Nana. Quand il vit le monde se tourner vers lui, il devint très rouge d’avoir ainsi parlé haut, sans le vouloir. Daguenet, son voisin, l’examinait avec un sourire, le public riait, comme désarmé et ne songeant plus à siffler ; tandis que les jeunes messieurs en gants blancs, empoignés eux aussi par le galbe de Nana, se pâmaient, applaudissaient.

— C’est ça, très bien ! bravo !

Nana, cependant, en voyant rire la salle, s’était mise à rire. La gaieté redoubla. Elle était drôle tout de même, cette belle fille. Son rire lui creusait un amour de petit trou dans le menton. Elle attendait, pas gênée, familière, entrant tout de suite de plain-pied avec le public, ayant l’air de dire elle-même d’un clignement d’yeux quelle n’avait pas de talent pour deux liards, mais que ça ne faisait rien, quelle avait autre chose. Et, après avoir adressé au chef d’orchestre un geste qui signifiait : « Allons-y, mon bonhomme ! » elle commença le second couplet :

À minuit, c’est Vénus qui passe..
C’était toujours la même voix vinaigrée, mais à présent elle grattait si bien le public au bon endroit, quelle lui tirait par moments un léger frisson. Nana avait gardé son rire, qui éclairait sa petite bouche rouge et luisait dans ses grands yeux, d’un bleu très clair. À certains vers un peu vifs, une friandise retroussait son nez dont les ailes roses battaient, pendant qu’une flamme passait sur ses joues. Elle continuait à se balancer, ne sachant faire que ça. Et on ne trouvait plus ça vilain du tout, au contraire ; les hommes braquaient leurs jumelles. Comme elle terminait le couplet, la voix lui manqua complètement, elle comprit quelle n’irait jamais au bout. Alors, sans s’inquiéter, elle donna un coup de hanche qui dessina une rondeur sous la mince tunique, tandis que, la taille pliée, la gorge renversée, elle tendait les bras. Des applaudissements éclatèrent. Tout de suite, elle s’était tournée, remontant, faisant voir sa nuque où des cheveux roux mettaient comme une toison de bête ; et les applaudissements devinrent furieux.

La fin de l’acte fut plus froide. Vulcain voulait gifler Vénus. Les dieux tenaient conseil et décidaient qu’ils iraient procéder à une enquête sur la terre, avant de satisfaire les maris trompés. C’était là que Diane, surprenant des mots tendres entre Vénus et Mars, jurait de ne pas les quitter des yeux pendant le voyage. Il y avait aussi une scène où l’Amour, joué par une gamine de douze ans, répondait à toutes les questions : « Oui, maman… Non, maman, » d’un ton pleurnicheur, les doigts dans le nez. Puis, Jupiter, avec la sévérité d’un maître qui se fâche, enfermait l’Amour dans un cabinet noir, en lui donnant à conjuguer vingt fois le verbe « J’aime ». On goûta davantage le finale, un chœur que la troupe et l’orchestre enlevèrent très brillamment. Mais, le rideau baissé, la claque tâcha vainement d’obtenir un rappel, tout le monde, debout, se dirigeait déjà vers les portes.

On piétinait, on se bousculait, serré entre les rangs des fauteuils, échangeant ses impressions. Un même mot courait :

— C’est idiot.
»



Camus, La Peste
« Ils étaient allés à l’Opéra municipal où l’on jouait Orphée et Eurydice. Cottard avait invité Tarrou. Il s’agissait d’une troupe qui était venue, au printemps de la peste, donner des représentations dans notre ville. Bloquée par la maladie, cette troupe s’était vue contrainte, après accord avec notre Opéra, de rejouer son spectacle, une fois par semaine. Ainsi, depuis des mois, chaque vendredi, notre théâtre municipal retentissait des plaintes mélodieuses d’Orphée et des appels impuissants d’Eurydice. Cependant, ce spectacle continuait de connaître la faveur du public et faisait toujours de grosses recettes. Installés aux places les plus chères, Cottard et Tarrou dominaient un parterre gonflé à craquer par les plus élégants de nos concitoyens. Ceux qui arrivaient s’appliquaient visiblement à ne pas manquer leur entrée. Sous la lumière éblouissante de l’avant-rideau, pendant que les musiciens accordaient discrètement leurs instruments, les silhouettes se détachaient avec précision, passaient d’un rang à l’autre, s’inclinaient avec grâce. Dans le léger brouhaha d’une conversation de bon ton, les hommes reprenaient l’assurance qui leur manquait quelques heures auparavant, parmi les rues noires de la ville. L’habit chassait la peste.
Pendant tout le premier acte, Orphée se plaignit avec facilité, quelques femmes en tuniques commentèrent avec grâce son malheur, et l’amour fut chanté en ariettes. La salle réagit avec une chaleur discrète. C’est à peine si on remarqua qu’Orphée introduisait, dans son air du deuxième acte, des tremblements qui n’y figuraient pas, et demandait avec un léger excès de pathétique, au maître des Enfers, de se laisser toucher par ses pleurs. Certains gestes saccadés qui lui échappèrent apparurent aux plus avisés comme un effet de stylisation qui ajoutait encore à l’interprétation du chanteur.
Il fallut le grand duo d’Orphée et d’Eurydice au troisième acte (c’était le moment où Eurydice échappait à son amant) pour qu’une certaine surprise courût dans la salle. Et comme si le chanteur n’avait attendu que ce mouvement du public, ou, plus certainement encore, comme si la rumeur venue du parterre l’avait confirmé dans ce qu’il ressentait, il choisit ce moment pour avancer vers la rampe d’une façon grotesque, bras et jambes écartés dans son costume à l’antique, et pour s’écrouler au milieu des bergeries du décor qui n’avaient jamais cessé d’être anachroniques mais qui, aux yeux des spectateurs, le devinrent pour la première fois, et de terrible façon. Car, dans le même temps, l’orchestre se tut, les gens du parterre se levèrent et commencèrent lentement à évacuer la salle, d’abord en silence comme on sort d’une église, le service fini, ou d’une chambre mortuaire après une visite, les femmes rassemblant leurs jupes et sortant tête baissée, les hommes guidant leurs compagnes par le coude et leur évitant le heurt des strapontins. Mais, peu à peu, le mouvement se précipita, le chuchotement devint exclamation et la foule afflua vers les sorties et s’y pressa, pour finir par s’y bousculer en criant. Cottard et Tarrou, qui s’étaient seulement levés, restaient seuls en face d’une des images de ce qui était leur vie d’alors : la peste sur la scène sous l’aspect d’un histrion désarticulé et, dans la salle, tout un luxe devenu inutile sous la forme d’éventails oubliés et de dentelles traînant sur le rouge des fauteuils.
»

Dans Illusions perdues, Lucien est à l'Opéra, mais le narrateur n'évoque même pas la musique...
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Re: Opéras dans le roman

Message par Epsilon » 09 juin 2017, 07:10

Dona Leon a situé le dernier tome des enquêtes de son commissaire Brunetti à la Fenice, où la titulaire du rôle de Tosca est menacée par une groupie visiblement timbrée.( Mort à la Fenice) La dernière scène de l'opéra est quasiment décrite mot à mot.
Jean-Paul Demure, avec Aix Abrupto, a choisi la Flûte Enchantée au festival d'Aix pour cadre d'un polar assez réjouissant.

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Re: Opéras dans le roman

Message par micaela » 09 juin 2017, 08:54

Dans Le Château des Carpathes de Jules Verne, l'un des personnages est une cantatrice morte en scène, qu'on fait "revivre" grâce à des images et des enregistrements réalisés lors de ses dernières prestations (une sorte d'ancêtre des hologrammes ). L'illusion est si parfaite qu'on la croit vivante.
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Re: Opéras dans le roman

Message par jerome » 09 juin 2017, 12:47

Rectification: Mort à La Fenice raconte l'enquête du Commisaire Guido Brunetti sur l'assassinat par empoisonnement au cyanure du chef d'orchestre allemand Helmut Wellauer pendant une représentation de La Traviata de Verdi, à La Fenice de Venise.

Le roman de Donna Leon qui s'appuie sur Tosca s'intitule Brunetti en trois actes

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Re: Opéras dans le roman

Message par philipppe » 09 juin 2017, 13:35

On trouve un certain nombre de descriptions de représentations d'opera dans "Les deux étandards".

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