Cyrille Dubois

Cyrille Dubois, ténor subtil.

A l’instar de ses collègues ténors de la même génération, Stanislas de Barbeyrac et Jean-François Borras, Cyrille Dubois est un pur produit des Maîtrises. Et beaucoup plus qu’en espoir.
Comme eux, il peut prétendre à une carrière de niveau mondial mais la sienne reste encore très majoritairement hexagonale. Ce récitaliste admirable, ce mozartien de haut lignage, ce grand styliste saura-t-il nous surprendre et gagner le cœur du grand public de la musique classique ? L’avenir nous le dira. Pour l’heure il est certain que ce jeune artiste singulièrement intelligent et passionné fait mentir l’adage « Bête comme un ténor ».
Qu’on en juge dans cet entretien où il revient sur sa formation musicale, son répertoire, son enthousiasme, son engagement de citoyen et ses projets. Il nous y parle de lui, bien sûr, mais aussi de… nous.

 

CyrilleDubois cCyrille Dubois et Ida Falk-Winland - Così fan tutte 2017   © Christophe Pelé/OnP.

 

Vous avez commencé la musique très tôt. Etes-vous né dans une famille de musiciens ?

Non, pas du tout. Mes parents n’étaient pas musiciens mais mélomanes et mes grands-parents écoutaient beaucoup de classique. Lors des réunions de famille, on chantait des chansons accompagnées à la guitare.

Vous avez donc intégré la Maîtrise de Caen dès l’âge de 7 ans.

Oui, en fait, Agnès Pollet, une amie de la famille, était chef de chœur d’une chorale membre de la fédération des chœurs amateurs « A cœur joie ». Et j’ai même débuté à six ans dans une petite chorale d’enfant près de chez moi à Ouistreham Riva-Bella. J’ai donc abordé la musique par le biais du monde amateur ce qui est très important pour moi. Très vite, j’ai intégré les classes à horaires aménagés à Caen que j’ai suivies pendant sept ans.

Cela représentait combien d’heures de musiques par semaine ?

On faisait deux heures de musiques par jour, quatre jours par semaine. Avec une audition hebdomadaire avec un programme différent au collège. J’ai tout appris dans cette structure, toutes les possibilités du chant choral c’est-à-dire une approche collective. Pour moi la pratique de la musique reste un partage avec les autres. Cette formation très complète a donc posé les jalons du musicien que je suis devenu aujourd'hui. Je n'aurais sans doute jamais pu me sentir autant investi dans la musique et avec autant de passion si je n'avais pas suivi ce parcours-là. Cette maîtrise était dirigée à l’époque par un Anglais, Robert Weddle. Les Anglais cultivent cette forte intégration de musique dans les cursus généraux et c’était un peu l’esprit recherché dans ces classes. Ce n’est pas pour rien que les meilleurs chœurs sont anglo-saxons. Assurément un exemple à suivre. Robert nous a entre autre familiarisés avec la musique anglaise, celle de Britten en particulier. À l'époque j'avais beaucoup de mal avec ce langage musical avec lequel j’ai aujourd’hui beaucoup d’affinités. À 13 ans, j'ai fait mes débuts à l'Opéra de Lyon dans le rôle de Miles dans Le Tour d'écrou.

C’était dans quelle production ?

Celle de Stefan Grögler qui était d’ailleurs passée à Caen avant que je la reprenne à Lyon puis à Chambéry. J'aimerais reprendre Le Tour d'écrou, mais cette fois dans le rôle de Peter Quint. Ce serait un peu comme boucler une boucle…. J’espère qu’un jour un directeur me donnera cette chance.

Et vous étiez en horaires aménagés jusqu’au bac ?

Non, du CE2 à la Troisième. En arrivant au lycée Malherbe de Caen, j’ai repris un cursus normal jusqu’au BAC scientifique et arrêté complètement de chanter pendant deux ans. Après ce bac, j’ai intégré une prépa BCPST (aujourd’hui Agro-Veto) puis une école agronome à Rennes. Je me destinais à la recherche. La  musique et la natation m’ont empêché de devenir « fou » pendant la prépa.  Je suis rentré au conservatoire de Rennes et dans les Chœurs de l’Opéra de Rennes aussi pour financer mes études. J’y suis resté trois saisons et j’ai compris que je pourrais arriver à gagner ma vie en chantant.

Je crois que vous êtes resté en rythme prépa, non ?

Oui, j’avoue que je suis un boulimique de travail ! J’aime cette citation de Confucius qui écrit : "Choisis un métier que tu aimes et tu ne travailleras pas un seul jour de ta vie". J’adhère totalement à cette pensée. Ce qui m’attire dans mon travail, c’est le fait de sans cesse découvrir de nouvelles choses. J’ai un très grand respect pour l’érudition et la connaissance. J’en apprends tous les jours et j’essaie de sans cesse avoir la possibilité d’étoffer et mon répertoire et mes connaissances. Ce n’est qu’en étant éclairé sur quelque chose qu’on peut avoir une légitimité à en parler, et à défendre son point de vue. Les artistes qui ne font que « reproduire » sans chercher à faire évoluer ce qu’ils interprètent se privent d’énormément de choses selon moi.

Quelles productions vous ont marqué lors de cette période de choriste à Rennes ?

Ce qui m’a enchanté, c’était le fait de retrouver la scène… Je pourrais citer ces productions des Contes d’Hoffmann, Dolores, ou le Miracle de la femme laide de Jolivet, Les Travaux d’Hercule de Claude Terrasse….

 

Puis vous êtes allé au concours d‘entrée du CNSMP. Quel bilan tirez-vous de ces années-là ?

C’est un bilan mitigé qui comporte beaucoup de frustration. J’y suis rentré pensant que c’était un Temple de la musique et avec une grande déférence. Mais j'ai vite compris qu’on y pratiquait aussi une forme de nivellement par le bas. A vrai dire, je n’y ai pas appris grand-chose vu le parcours que j’avais dans la musique depuis l’âge de six ans, mais j’y ai tout de même consolidé mes acquis en solfège en binôme avec Sabine Devielhe avec laquelle nous avons un parcours parallèle (Caennais tous les deux puis passés par Rennes et CNSMDP au même moment). Ces années ont, avant tout, eu le bénéfice de permettre à l’instrument de se développer à son rythme mais surtout j’y ai découvert le monde de la mélodie avec Anne Le Bozec et Jeff Cohen qui sont mes mentors dans ce domaine. 

C’est un domaine où vous excellez, je pense notamment aux mélodies de Félicien David que vous avez gravées pour le coffret Bru Zane qui vient de sortir. Vous y êtes aujourd’hui digne de Yann Beuron !

Merci c’est un grand compliment qui me touche car j’adore ce que fait Yann Beuron ! Dans l’opéra mais aussi dans la mélodie ! J’attends avec impatience la possibilité de le voir en récital !!!

J'aime à dire que, dans le domaine du lied et de la mélodie, le chanteur devient force de proposition et d'interprétation, ce qui n'est pas forcément vrai dans le domaine de l'opéra. L'opéra place nécessairement le chanteur sous la contrainte de la « lecture » d'un metteur en scène ou d'un chef d'orchestre qui nous imposent leur approche scénique, scénographique et musicale.

La mélodie, quant à elle, est une forme chambriste  qui se montre beaucoup plus flexible et permet à l'interprète de devenir responsable des choix musicaux et artistiques qu'il est amené à faire avec son pianiste.  Comme vous le savez, je forme avec Tristan Raës le Duo Contraste. Nous aimons défendre le répertoire français. En effet, qui mieux que les chanteurs français peuvent défendre le chant français ? Pour moi, c'est une évidence mais il n'est pas rare d'entendre des chanteurs allemands ou anglais chanter parfaitement la musique française comme Ian Bostridge qui est absolument sensationnel dans la mélodie française !

Quelle en est votre approche ?

Celle d’une attention exacerbée à la poésie mise en musique, sur le texte et les couleurs. La mélodie, c’est ce que j’appelle l’empilement interprétatif, un genre qu’on qualifie trop souvent d’élitiste mais je préfère dire éduqué. D’abord il y a le texte, les mots, le rythme du poème. Nous avons la chance d’avoir une langue séculaire d’une richesse spectaculaire. Je me délecte des mots de poètes comme Théophile Gautier, Baudelaire, Sully-Prudhomme, Verlaine etc. On ne peut pas s’affranchir d’aimer les textes lorsqu’on parle de mélodie. On peut regretter que l’on déflore peu à peu notre belle langue dont les subtilités s’effeuillent au fil du temps… Donc d’abord le poème, puis le compositeur qui peut soit suivre la musique du texte, soit s’en affranchir. Il y avait il y a quelques temps sur mon site internet cette citation de Wagner « la musique commence là où s’arrête le pouvoir des mots ». Même si je ne comprends pas forcément la musique de Wagner (ce lyrisme grandiloquent me laisse assez indifférent), je comprends où il voulait en venir avec cet adage : la musique est un medium extrêmement puissant. Un vecteur assez absolu en termes d’émotions qu’elle peut susciter.  Il est souvent éclairant de voir à quel point, face à un même texte, des compositeurs suivent des voies différentes. J’avais un jour fait ce travail sur le texte de « Prison », il est évident que le compositeur fait ses choix par rapport à l’importance de tel ou tel mot. On peut parler d’une forme de madrigalisme dans le lien entre le mot et sa musique dont le rapport installe une ambiance particulière. En outre, nous avons en France, la chance de compter parmi les plus grands harmonistes et mélodistes de la musique. Et enfin, il y a ce niveau infini qu’est celui de l’interprète qui me fascine. Il faut que le spectateur sache que lorsque Tristan et moi travaillons la mélodie, nous nous posons des questions sur tout. Ainsi que le poète qui choisit ses mots ou le compositeur ses notes, c’est à l’artiste-interprète de proposer une façon de voyager ou une autre, de faire vivre tel mot ou telle note. C’est le plus noble sens du mot « interprète » ; c’est de sa sensibilité que naît l’émotion et c’est lui qui transmet au public ce qui n’était pour lors, que sur le papier…. Quant au genre de la mélodie Française,  pour moi c’est la subtilité et la fragilité qui prévalent. Il existe vraiment une école française de la mélodie qui est directement dans lignée de Fauré à Nadia et Lilli Boulanger, par exemple. Et nous nous faisons fort d’en répondre. Ce qui m’intéresse également dans la mélodie, c’est d’en donner une approche actuelle. J’interprète la mélodie avec ma sensibilité d’artiste contemporain. Cette époque est fascinante : on peut avoir en un clic accès à ce qui se faisait il y a 50 ans. Il y a des choses dont on peut/doit s’inspirer, ou carrément rejeter ! C’est notre responsabilité d’actualiser la façon de faire de la musique classique pour qu’elle colle à notre temps.

Outre Anne Le Bozec et Jess Cohen, vous avez reçu les conseils d’autres spécialistes du genre comme François Le Roux, je crois ?

Oui, en effet. J’ai rencontré François Le Roux lors de certains concours où il siégeait dans le jury. C’est un passionné et un puits sans fond de connaissance de ce répertoire. Pour l’opéra, Natalie Dessay m’a fait travailler Gérald lorsqu’elle chantait La Fille du Régiment à Bastille.

Quelle chance ! la plus grande Lakmé de notre temps !

Oui, avec maintenant mon amie Sabine Devielhe qui me bouleverse dans ce rôle.

Parlez-nous de votre conception de cet opéra.

 J’aime énormément Lakmé ! Et j’espère pouvoir le refaire un jour ! À mon sens, ceux qui cherchent un sens caché dans de telles œuvres se trompent. Elles ont été composées à l'époque de l'Orientalisme, en accord avec la mode de l'époque à l’opéra comme en peinture ou en littérature. Lakmé contenait à sa création ce que nous trouvons aujourd’hui dans les grandes séries conçues pour dépayser et divertir le grand public. Lakmé avait ce but de divertir et de faire pleurer devant un mélodrame. Il me semble que l'innocence, la fraicheur et la candeur doivent primer, comme le sentiment de découverte d'un monde lointain et nouveau. Plutôt que montrer ce que le personnage de Gérald ressent, il faut essayer de le vivre. Quasiment à chaque représentation, je verse des larmes lors de la scène finale !

 

CyrilleDubois a

 

Abordons donc votre répertoire. Quel est le domaine, outre celui de la mélodie, où vous vous sentez le mieux.

Mozart, c’est mon lit, comme une couverture chaude. Il représente incontestablement l'axe dans lequel je vais m'exprimer dans les dix années à venir. Ce n’est pourtant pas ce qu’il y a de plus facile à interpréter. C’est d’ailleurs assez ingrat car lorsque Mozart est bien chanté, on ne se rend pas compte à quel point c’est difficile ! Pour autant, j'aime beaucoup continuer à découvrir les opéras comiques comme je vais le faire à Liège puis à l’Opéra-Comique avec le Domino noir d’Auber. Le Bel Canto me fait toujours un peu peur mais je ne m'interdis pas une approche que je qualifierais de "prudente". Quant aux Verdi, Puccini et Wagner, je crains qu'ils ne me soient interdits toute ma vie. J’ai quelques rêves comme Roméo ou Hoffmann, des rôles que j’aimerais aborder dans de petites salles, loin des standards habituels, mais pas dans l’immédiat. Même si l’envie ne manque pas, j’essaye de faire très attention à ne pas brûler les étapes…

Que faites-vous quand vous ne chantez-pas ?

J’aime beaucoup ma famille, mon jardin et la mer, ma Normandie, je suis très enraciné. Je suis d’ailleurs le parrain d’un très beau projet de construction d’une salle de spectacle sur la Côte de Nacre (au nord de Caen). Je ne fais pas de politique mais je suis un citoyen engagé en faveur de la démocratisation culturelle ; pour moi qui viens du monde amateur et qui sais ce qu’il doit à l’accès de la musique dans les zones moins favorisées, c’est plus qu’une évidence, c’est un devoir ! Il faut que nous, artistes classiques, arrivions à faciliter l’accès de notre art au plus grand nombre. Ce n’est qu’en allant à la rencontre des gens que le classique pourra continuer de se démocratiser. Je dirigeais encore il y a peu une petite chorale dans une commune voisine à celle où j’habite maintenant. C’est un juste retour. La musique m’a permis de me développer en tant que personne et maintenant en tant qu’artiste, c’est pour moi normal de partager ce savoir en retour. Toujours ce lien entre la pratique amateur et professionnelle. La passion pour la musique d’un amateur n’est pas si différente de celle d’un professionnel, même si nous avons tendance à parfois l’oublier. Il n’y a rien de plus valorisant que de voir la gratitude du public lorsque l’on échange avec lui sur ce qui nous unit : l’amour de la musique. Nous avons aussi un grand chantier pour casser cette image de musique « trop intellectuelle, trop savante » peut être en faisant l’effort de casser certains codes (je pense notamment aux R roulés)…..

Lisez-vous les critiques et notre forum ?

Bizarrement oui, j’aime les critiques argumentées et il m’arrive de lire votre forum. Non pas que je sois sadique ou que j’aime à me faire mousser, mais il y a souvent une part de vérité chez les critiques et c’est en cela que c’est instructif de les lire et j’accepte volontiers la critique car la confrontation d’une interprétation face à l’accueil qu’elle reçoit est indispensable. Malheureusement certains ne peuvent s’empêcher de pointer du doigt (parfois de façon désagréable) des choses que l’interprète ne peut changer, un timbre, une puissance…, faire passer son avis comme un avis universel, plutôt que de tâcher de faire ressortir le positif ou le constructif. Ils nous font parfois regretter de faire ce métier qui, même s’il est un des plus beaux du monde, n’est pas des plus faciles. Mettre ses émotions à nu (car comme je ne peux pas mentir lorsque je chante, je mets mon âme face au regard du public) revêt aussi une certaine forme de courage dont je ne suis pas certain que tous pourraient accomplir.  Il me vient une citation de Destouches que je laisse à l’interprétation de chacun : « La critique est aisée, mais l’art est difficile ». Heureusement cela ne m’arrive pas trop ! J’invite néanmoins les critiques et plus généralement les spectateurs à se laisser surprendre par une interprétation plutôt que de venir à un spectacle avec une idée préconçue sur ce qu’ils veulent entendre. C’est par bonheur majoritairement le cas ! Ce que je disais par exemple sur Roméo. Si un jour je venais à chanter ce rôle, ce ne serait pas comme Roberto Alagna qui reste et restera pour moi LA référence absolue pour ce rôle. Ce ne sera que Cyrille Dubois, qui n’a pas une voix puissante solaire, mais qui proposera une vision peut-être plus fragile et musicalement aboutie. Laissons donc leurs chances aux interprètes d’aujourd’hui. Ce qui ne nous interdit pas de garder un souvenir ému des émotions passées…..

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué sur ODB ?

L’attachement viscéral à notre art, la masse de connaissances collectives, l’érudition de certains et l’attachement passionné/passionnel au passé.

 

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Que pouvez-vous nous dévoiler de vos projets ?

J’ai plusieurs projets pour les saisons prochaines avec l’Enlèvement au sérail et Dialogues des Carmélites. Je vais effectuer mes débuts à Zurich et continuer à donner beaucoup de récitals dont un au Wigmore Hall. Sur le plan discographique, il y a aura très bientôt les Troyens enregistrés à Strasbourg, puis Les Pêcheurs de perles avec Julie Fuchs et Florian Sempey  que vous avez entendus au TCE, La Reine de Chypre d’Halévy avec le Palazetto Bru Zane et le Devin de village de Rousseau. J’ai aussi enregistré des inédits de Debussy.

Propos recueillis par Jérôme Pesqué le 11 septembre 2017.

 Photos : cyrille-dubois.fr

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